reconnaissent n’avoir rien trouvé qui vaille. « Les phares, dit l’un d’eux, M. Paul Sébillot, sont très pauvres au point de vue des traditions merveilleuses ou des superstitions. » Les quelques faits recueillis tendraient même à montrer que cette pauvreté est plus absolue qu’on ne dit. M. Le Carguet a raconté que, lors de la construction du phare de Tévennec, les habitans faisaient intervenir sur la roche les morts en état de conjuration. « Le jour, pendant la construction, au-dessus des travailleurs tournoyaient les oiseaux de mer, surpris d’y voir des êtres vivans, eux-mêmes qui ne pouvaient s’y poser, à cause des morts ! Par leurs cris : « kers-kuit, va-t’en, « ils semblaient prévenir les travailleurs des dangers qui les menaçaient. La nuit, c’étaient des bruits de gens qui se querellaient, se battaient ; on aurait dit tout bouleversé ; le couvercle de la citerne, surtout, déjeté de côté et d’autre. Des vieillards parcouraient la roche et le bâtiment. Des croix se dressaient et s’abattaient ; des gens s’y suspendaient. Au jour, tout était en ordre. Pour faire cesser le bruit et les apparitions, on fut obligé d’ériger, sur le roc, une croix en pierre[1]. » Mais qu’on remarque que ces apparitions et ces bruits sont antérieurs à l’allumage du phare et se produisent seulement pendant sa construction. Et ne sait-on point enfin que les habitans de la côte et des îles, pillards effrénés, se satisfaisaient mal de voir le raz de Sein éclairé et, du même coup, leurs courses nocturnes, leurs aubaines compromises ? Mais voici mieux. Sur cette race de forbans, sur ces « démons de la mer, » comme on les appelait il y a cinquante ans encore, et qui tiraient gloire du sobriquet, le phare a exercé un muet apostolat de douceur et de charité : s’il n’a pas complètement changé, comme l’avance M. Le Carguet, les hommes de mer du cap Sizun et de l’île de Sein, il les a singulièrement améliorés, humanisés, rendus plus respectueux du naufragé, sinon du naufrage lui-même. Cette influence moralisatrice du phare n’a pas été remarquée seulement à la pointe extrême du Finistère : on l’a observée en bien d’autres endroits, et spécialement sur les côtes de Saintonge, où, avant l’allumage des phares, les riverains, dans les nuits noires, « attachaient volontiers au cou d’un baudet, dont les pieds étaient légèrement enfergés à l’aide d’une corde, une grande lanterne allumée, » qui imitait par ses oscillations le tangage d’un navire[2].
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