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LES PHARES


Pour prendre contact avec les phares, le tertre du Rosédo, dans l’île de Bréhat, est une assiette incomparable. Le cercle d’horizon qu’on embrasse de ce tertre n’est pas seulement un des plus vastes qui soient, c’en est aussi un des plus mouvementés. Même par temps calme, aux traînées de bile qui strient la mer, aux remous qui tremblent sur les hauts-fonds, à la rapidité des courans, et plus encore à ces déchirures violentes du littoral, à ces longues chaînes d’écueils qui crèvent de tous côtés la nappe marine et qui sont comme les défenses avancées de la terre vers le large, on sent une hostilité latente, l’antagonisme mystérieux de deux élémens.

Vainement on chercherait là ces grandes zones mitoyennes de sable ou de tangue qui forment ailleurs la transition, le moelleux tapis de rencontre entre la mer et la terre. Les deux élémens sont restés aux prises. La mer a fini par l’emporter ; mais sa victoire est encore incomplète, et le conflit se prolonge sourdement. Tout le littoral, de Paimpol à l’embouchure du Guer, n’est qu’un chaos de roches gigantesques, jetées les unes sur les autres et qu’un miracle tient en équilibre, une architecture de cauchemar qui ressemblerait, suivant l’expression d’Hugo, à de la tempête pétrifiée. En quelques recoins seulement, que leur exposition défend contre les rudes surprises du « norouât, » aux tournans des fleuves côtiers, dans les failles profondes des étangs à mer, la nature s’humanise, le granit s’attendrit, la « douceur bretonne » reprend ses droits, et l’œil, soudainement reposé, nage sur une mince et grasse coulée de velours vert, s’accroche, entre deux échines de porphyre noir, à l’enchevêtrement d’une flore insoupçonnée de fuchsias, de chênes-lièges, de figuiers et de myrtes arborescens. Dans Bréhat même, rien n’égale la splendeur du rivage méridional, avec ses rochers rouges panachés de pins sylvestres, trempant dans