castes, un antagonisme tellement irréductible, que la lutte devait éclater dès le premier jour, et qu’elle ne pouvait qu’être sans merci. « Les prédicateurs, nous dit Matfré Ermengau, s’en allaient proclamant que c’était péché de faire des vers, et reprenaient durement ceux qui se rendaient coupables de ce crime. » On condamnait les œuvres des troubadours, de ceux du moins qui étaient réputés pour leur hostilité à l’Église ; on inquiétait ceux qui les lisaient. Un document récemment mis au jour nous montre les inquisiteurs de Toulouse s’enquérant auprès d’un inculpé s’il n’a point eu en sa possession les chansons de Guilhem Figueira, l’auteur, il faut le dire, d’une des diatribes les plus violentes, les plus haineuses qui aient jamais été écrites contre Rome.
Délaissés par les plus puissans de leurs protecteurs, traqués par le clergé, ne trouvant point auprès des successeurs de leurs princes héréditaires l’appui qu’ils semblent avoir un instant espéré, les troubadours, sauf de rares exceptions, s’exilaient au-delà des Alpes ou des Pyrénées. Un grand nombre allèrent demander au roi Jacques d’Aragon une protection qu’ils étaient habitués à trouver dans sa famille ; mais ce prince, tout en les tolérant à ses côtés et en acceptant leurs hommages, paraît avoir fait peu de chose pour eux : résolu à ne plus s’immiscer dans les affaires de la France, il est plus souvent tancé dans leurs vers pour sa mollesse et son apathie qu’il n’y est célébré pour sa libéralité. Les troubadours furent plus favorisés, au moins durant quelques années, dans le royaume de Léon : Alphonse IX mérita les éloges de Uc de Saint-Circ, de Guilhem Adhémar, d’Elias Cairel. Mais cet heureux temps ne dura pas : en 1230, le royaume de Léon fut réuni à la Castille par Ferdinand III, prince pieux et sage, peu accessible aux charmes de la poésie courtoise : aussi apparaît-il à peine dans les chansons des troubadours, malgré la grandeur des événemens que son règne vit s’accomplir. Son fils Alphonse X, grand ami des lettres et des arts, fit davantage pour eux ; aussi l’ont-ils comblé d’éloges : mais la poésie provençale était dès lors à son déclin et ne pouvait vivre sur ce sol étranger que d’une vie factice et éphémère. Un certain nombre de poètes durent même pénétrer jusqu’en Portugal, à la cour du roi Denis, où leur art était cultivé avec passion ; ils ne paraissent pas néanmoins y avoir trouvé une protection bien efficace.
Mais c’est surtout vers l’Italie du Nord que la plupart d’entre