honneur… » Pareille fortune échut à Gaubert de Puycibot, ce moine défroqué que nous avons déjà eu occasion de nommer. Après que Savari de Mauléon l’eut équipé de pied en cap, « il s’en alla par les cours et fit mainte bonne chanson, et il s’énamoura d’une noble et belle damoiselle, dont il faisait ses chansons ; mais celle-ci déclara qu’elle ne l’aimerait que s’il était chevalier et la prenait pour femme. Il alla tout conter à Savari, qui le fit chevalier, et lui donna demeure, terres et rentes ; et il prit la damoiselle pour femme et la tint à grand honneur. »
On comprend que les poètes aient réussi à conquérir dans cette société éprise de leur art un rang proportionné à leurs talens : le nombre infini de couplets qu’ils échangèrent avec les plus illustres protecteurs nous les montre usant vis-à-vis de ceux-ci d’une familiarité qui choquerait jusqu’à nos habitudes égalitaires. Les éloges qu’ils leur prodiguent sont très souvent hyperboliques, presque jamais plats. Pierre Rogier, débarquant à la cour de Rambaut d’Orange, interpelle celui-ci en termes très fiers, où il dissimule assez habilement son rôle, qui est en somme celui d’un solliciteur, sous les grands airs d’un arbitre des belles façons. « Sire Rambaut, je suis venu à vous, à cause, non de votre richesse, mais de votre réputation d’homme, instruit et habile : je veux savoir, avant de partir, ce qu’il en est au juste de vos mérites, que l’on vante si fort là d’où je viens. » Et il continue en débitant au prince une longue mercuriale sur les devoirs de l’homme qui veut « valoir » et « maintenir prix. » Nous avons la réponse de Rambaut : on n’y voit point qu’il ait été froissé de ce ton.
Cette familiarité est parfois poussée jusqu’aux limites les plus extrêmes : Cadenet appelait Blacas son compère ; d’autres poètes et leur protecteur se désignaient réciproquement par le même nom conventionnel, destiné à voiler leur personnalité : Jouffroi de Bretagne et Bertran de Born s’appelaient Rassa ; Raimon V de Toulouse et Bernart de Durfort, Albert ; Raimon VI et Raimon de Miraval, Audiart ; Uc Marescalc et Guillaume de Saint Leidier, Bertran. Cette singulière coutume atteste entre ceux qui la pratiquaient l’intimité la plus absolue ; il est évident en effet que si le même pseudonyme peut désigner les deux interlocuteurs, c’est qu’ils sont sur un pied d’égalité parfaite.
L’exemple le plus frappant de cette intimité entre un prince et un jongleur nous est fourni par la vie de Rambaut de Vaqueiras. Celui-ci était issu d’une famille noble, il est vrai ; mais son père