maître. » Puis il monte sur le char, armé d’une grande hache de charpentier, et se met à éventrer les tonneaux : il en tombe des quantités de cierges de la cire la plus fine. Le manant, comme s’il se fût agi d’une marchandise à vil prix, remonte sur son char et retourne tranquillement à Maumont, son village. Guillaume, à ce spectacle, ne tarit pas en éloges sur la valeur et la courtoisie de son vassal ; plus tard, il le récompensa en lui donnant, à lui et à ses descendans, le fief de Maumont. »
On voit que le trait distinctif de cette prodigalité, c’est d’être sa fin à elle-même. Répandre l’argent à flots, sans but, pour rien, pour le plaisir, tel semble être l’idéal d’un grand seigneur aux XIe et XIIe siècles. Les chroniqueurs gardèrent un souvenir ébloui de certaines fêtes données à Beaucaire, en 1174, en l’honneur du roi d’Aragon ; les seigneurs méridionaux s’y livrèrent à un assaut de ruineuses excentricités qui touchent à l’absurde : des champs entiers semés de menue monnaie, des chevaux de prix brûlés, des repas préparés, non au bois, mais à la cire. La chronique a dû se faire ici l’écho de la légende ; mais la légende elle-même est-elle autre chose qu’un grossissement de l’histoire ? Ces sortes d’anecdotes traduisent à merveille un état d’esprit caractéristique, qui se révèle en cent autres endroits : « Je veux, dit à son fils un des héros de Flamenca, roman écrit en Auvergne vers 1235, que tu sois preux et large : à qui te demande cent sous, donne vingt marcs ; et, pour cinq, donnes-en dix. » — « Blacas, nous dit le biographe de ce personnage, fut un noble baron, haut et riche. Ce qui lui plaisait le plus, c’étaient les dons, le service des dames, la guerre, les présens, les cours, le chant, le tumulte et le bruit (ne serait-ce point déjà le Fen de brut d’un illustre compatriote de Blacas ? ) et toutes les choses par lesquelles on acquiert prix et valeur. Et jamais il n’y eut homme à qui plût le prendre comme à lui le donner. Il était celui qui recueillait les délaissés et relevait les abattus. Et plus il avança en âge, plus il crût en largesse, en courtoisie, en valeur, en gloire d’armes, en terres et en rentes. » Ces derniers mots sont au moins inattendus : il faut vraiment une faveur particulière du ciel pour augmenter ses rentes en menant une pareille vie. Est-il besoin de dire que cette faveur était rare ? Nombreux, au contraire, furent les émules de Blacas qui se ruinèrent. Il fallait alors pourvoir aux brèches, et force nous est de reconnaître qu’en ce cas on ne trouvait point incompatibles avec la courtoisie des moyens qui nous paraissent peu conciliables