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Il n’existe en France que deux ouvrages à la fois accessibles, — très relativement, puisqu’ils sont tous deux épuisés depuis longtemps, — et conçus dans un esprit vraiment scientifique : le Choix de poésies originales des troubadours, de Raynouard, et l’Histoire de la poésie provençale, de Fauriel ; or, le Choix est, son nom l’indique, un pur recueil de textes ; la brève esquisse des principaux genres poétiques qui remplit cent soixante pages du second volume ne saurait passer pour un exposé historique. Quant à l’Histoire, elle a toutes sortes de défauts, que l’on peut signaler sans porter atteinte à la légitime gloire de ce grand précurseur que fut Fauriel. D’abord elle se ressent trop de ce qu’elle fut à l’origine, un cours public, professé, ne l’oublions pas, en 1831-1832 ; le plan manque presque absolument et les disproportions abondent ; enfin et surtout, malgré le titre, la littérature provençale n’en forme pas l’objet essentiel. Cela tient sans doute, d’abord à ce que l’auteur voulait retenir le public en variant et en amplifiant son sujet ; cela tient aussi à une théorie qui lui était chère, à savoir que la littérature provençale avait fait de grandes pertes (ce qui est vrai dans une certaine mesure), et qu’il suffisait, pour combler ces lacunes, de lui restituer des œuvres françaises, allemandes, etc., qui n’étaient, selon lui, que des traductions : de là ces développemens, qui nous paraissent aujourd’hui de longs hors-d’œuvre, sur les chansons de geste, les romans de la Table ronde, l’Epopée germanique, voire les Chants Scandinaves, de sorte qu’il n’y a pas, tout compte fait, dans cette histoire de la poésie provençale en trois volumes, plus de quatre cents pages consacrées à la poésie provençale. Elles sont judicieuses, brillantes ; mais est-ce en quatre cents pages qu’on peut épuiser un sujet si riche ? Là même, l’information précise est souvent remplacée par les généralisations hardies et les hypothèses aventureuses. Il serait injuste sans doute de reprocher à Fauriel de n’avoir point fait un usage plus étendu des textes inédits ; mais il venait de paraître en Allemagne un livre génial qui renouvelait complètement la matière et qui, aujourd’hui encore, reste debout dans presque toutes ses parties, le Leben und Werke der Troubadours, de Diez : or, Fauriel ne paraît point l’avoir même feuilleté. Il faut à peine compter la traduction et l’adaptation des deux livres capitaux de Diez donnée en 1845 par le baron de Roisin[1] : le plus grand tort

  1. La Poésie des Troubadours, par F. Diez, études traduites de l’allemand et annotées par le baron F. de Roisin ; Paris et Lille, 1845.