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bienveillance du gouvernement turc pour les peuples qui l’exercent, il rend inévitables des mésintelligences, il a parfois amené des guerres. Les deux États protecteurs de religion dans le Levant ont couru ces chances et subordonné leurs bons rapports avec la Turquie aux égards observés par la Turquie envers les catholiques et envers les orthodoxes : la Russie est assez forte pour n’avoir pas besoin de plaire, la France est assez désintéressée pour avoir couru, quand il le fallait, le risque de déplaire. Guillaume II a inauguré avec le gouvernement turc une politique toute contraire. Ambitieux d’assurer en temps de paix des cliens à son commerce, en temps de guerre des alliés à ses troupes, il a résolu de tout subordonner à cette double fin et, pour ce, d’éviter les conflits où s’usent les amitiés. S’il s’est insinué si avant et si vite dans les bonnes grâces de l’Islam, c’est qu’il s’est abstenu de toute intervention dans le gouvernement intérieur de la Porte. Ne sera-t-il pas contraint d’intervenir le jour où il prendra la charge d’un protectorat, et s’il s’occupe à la fois des catholiques, des protestans et des juifs, ne deviendra-t-il pas triplement importun ? L’amitié sans nuages aura fini, et plus il aura à réclamer d’avantages ou de réparations en faveur de sa clientèle religieuse, plus il verra diminuer les grosses moissons que l’Allemagne récolte aujourd’hui en Turquie. Et le jour où l’Empereur se heurtera à l’impossibilité de sauvegarder à la fois des intérêts moraux et ses intérêts matériels, nul ne doute qu’il ne sauve les plus essentiels et les plus chers à ses yeux, c’est-à-dire les produits, les capitaux et l’influence politique de l’Allemagne.

Non seulement cela sera, cela a déjà été. Peu de princes ont témoigné leur respect pour la conscience des peuples en termes plus exprès que Guillaume à Jérusalem quand il inaugura le Temple du Sauveur. Sa pensée semblait même, planant au-dessus des discordes confessionnelles, reconnaître dans toutes les communions chrétiennes une seule famille, et promettre un défenseur à la civilisation commune qu’elles ont puisée dans l’Évangile. Mais au moment où il faisait ces promesses, ses actes parlaient déjà plus haut qu’elles. Il s’annonçait à la chrétienté comme un champion, quand les massacres d’Arménie et de Crète venaient de finir. Le sang répandu dans cette île et dans toute l’Asie Mineure était du sang chrétien. Si des tentatives révolutionnaires donnaient au Sultan le droit de défendre par la force une