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satisfait pas les goûts des plus nombreux, et ils viennent exercer dans la capitale de la Palestine leurs aptitudes aux petits métiers et au commerce. Et déjà la ville la plus Israélite de l’univers est Jérusalem : sur quatre-vingt mille habitans, elle compte soixante mille juifs. Tel est le chiffre sur lequel s’accordent les personnes les mieux informées : elles le donnent au juger, parce que les statistiques officielles sont sans exactitude, et que les juifs y amoindrissent tout ce qu’ils peuvent de leur nombre. Le Turc en effet refuse de leur ouvrir leur ancienne patrie, il les empoche de débarquer ; c’est par la ruse et l’argent qu’ils se glissent dans la Terre Promise. Ils fuient la Russie, les petites principautés du Danube, l’Autriche, l’Allemagne où la vie leur devient dure. Et l’Asie est contre eux plus fermée que l’Europe : là surtout ils auraient besoin d’un protecteur. Enfin l’Islam contre qui les protectorats religieux s’exercent est, lui aussi, une religion, et la plus puissante en Orient. Elle aussi prétend durer, grandir, vaincre. Les garanties obtenues par les autres cultes la gênent dans les exactions, les dénis de justice, les violences qui sont ses actes de foi contre les infidèles. Et si sa confiance peut être gagnée par un souverain étranger c’est par celui qui, s’abstenant de défendre aucun de ces cultes, se ferait contre leurs exigences le défenseur de l’Islam.

Le désir de prendre influence sur des races étrangères possédait si fortement Guillaume II, et il était si résolu à acquérir un de ces protectorats religieux, qu’il n’a pas voulu réduire ses chances en optant entre eux. Préférer l’un à l’autre a semblé pour lui l’accessoire, en atteindre un était l’essentiel, il a rêvé peut-être de suffire à plusieurs et, en fait, les a poursuivis tous à la fois.

Celui qui semblait s’offrir à l’Allemagne était le protectorat protestant. Nul État n’exerce ce ministère au profit du culte réformé, et l’Allemagne, mère de cette réforme, a des titres à veiller sur elle. Les Anglais et les Américains ont dans le Levant des missions nombreuses, importantes, riches, peu soutenues par les gouvernemens. C’était pour l’Allemagne double gain si, en mettant à la disposition de ces œuvres son crédit politique, elle accroissait ce crédit grâce à leurs larges ressources. L’occasion de consacrer cet accord s’offrait d’elle-même. En venant inaugurer dans Jérusalem le Temple du Sauveur, Guillaume II faisait acte de prince luthérien. Il espérait qu’Américains et Anglais, ministres et pasteurs apporteraient leur concours à la cérémonie ; que