Ce n’est pas pour un si mince résultat que Guillaume a entrepris un tel voyage. Si l’aigle s’est posé sur des aires étroites à Caiffa, au Temple du Sauveur, au champ voisin du Cénacle, il a plané sur le Levant tout entier, et il a, des yeux et du désir, pris possession de plus vastes conquêtes. Il a contemplé, dans toute la Turquie, celles de deux peuples. Il a vu l’influence russe s’étendre sur des nations entières qui ne sont pas russes, mais sont orthodoxes. Il a vu l’influence française entretenue, malgré la distance, parmi les races les plus diverses, et quel prestige la France exerce sur toutes pour s’être faite dans le monde la protectrice du catholicisme. Or, Guillaume II, c’est la hauteur et peut-être l’écueil de ses espoirs, n’est pas capable de reconnaître par le monde une supériorité sans la vouloir pour son peuple et pour lui-même. Trop épris de la complète puissance pour ne pas comprendre que ni le commerce ni les armes ne la donnent tout entière, il veut parfaire son Allemagne comme Pygmalion sa statue. Maintenant que le corps, enfin achevé, est devenu un chef-d’œuvre de la matière, son maître songe à l’animer par le feu du ciel, qui est la grandeur des pensées. Il s’est demandé pourquoi l’Allemagne à son tour n’étendrait pas aussi sur des races étrangères l’influence d’un protectorat religieux.
Dans le Levant l’embarras n’est pas de trouver des cultes désireux qu’on les défende, c’est de décider lesquels il faut défendre. Toutes les sectes chrétiennes y sont représentées soit par des groupes religieux, comme les protestans ; soit par une race, comme les Maronites ou les Arméniens ; soit par plusieurs peuples, comme les orthodoxes. Moins nombreux, les Juifs y font partout sentir l’influence de leur secte vivace et de leur habileté commerciale. Nul n’ignore que depuis quelques années, une émigration constante a accru singulièrement le nombre des Israélites en Palestine. Les fondations des grands financiers qui ont concilié les calculs de leur bienfaisance, de leur orgueil et de leur repos, en préparant aux déshérités de leur race un asile lointain ; la nécessité qui pousse ces misérables vers le pain et l’abri offerts ; l’espoir invincible et aujourd’hui renaissant qui possède cette nation de rassembler ses membres dispersés où elle fut une, la satisfaction de vivre enfin dans un lieu du monde où elle se sente tout à fait chez elle, concourent à perpétuer ce mouvement. Des colonies agricoles sont ouvertes aux nouveaux venus. Mais outre qu’elles n’offriraient pas place à tous, la culture ne