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dévoué à ses vainqueurs, et que la plus efficace garantie pour les missions allemandes était désormais le prestige de l’Allemagne, le gouvernement de Berlin, à plusieurs reprises, a fait connaître sa volonté de soustraire ses nationaux catholiques à la tutelle française. Il voyait dans cette tutelle une vassalité qui ne convenait plus au rang nouveau des deux peuples, et, l’honneur à ses yeux ne se séparant pas du profit, il entendait avoir seul désormais le bénéfice des œuvres que la foi de ses sujets pourrait établir dans le monde. Déjà Guillaume II avait réussi à soustraire une province de la Chine, le Chantoung, à notre tutelle religieuse, et obtenu de la Propagande que, là, les missionnaires allemands fussent protégés par lui. En 1898, il a jugé le moment venu de se donner ailleurs la même indépendance ; il a choisi la terre la plus sacrée par les souvenirs religieux, la mieux gardée à notre influence par la continuité de nos efforts ; il est venu à Jérusalem, au milieu des sanctuaires confiés à notre garde, fonder un sanctuaire et planter son drapeau.

Pour réussir dans ce projet, il lui fallait tenir en échec la volonté récente et publique du Pape sans se révolter ouvertement contre elle, et contredire nos droits par un acte contre lequel la France demeurât désarmée. Guillaume II obtient dans la Ville Sainte l’emplacement où la tradition chrétienne reconnaît une partie du Cénacle et une demeure de la Vierge : la France et l’Église avaient-elles sujet de se plaindre que le Sultan eût disposé de son bien, et que sa libéralité, soustrayant un lieu vénérable à la domination musulmane, le remît aux mains d’un prince chrétien ? Guillaume annonce le dessein d’offrir à ses sujets catholiques ce qu’il vient de recevoir, et avise le Pape de ce projet : quand un prince luthérien, au lieu de consacrer un sanctuaire à une propagande protestante, songe à en faire honneur au catholicisme, que peut répondre le chef du catholicisme, sinon un remerciement ? L’Empereur décide que la remise du terrain sera solennelle : comment le représentant du Pape serait-il absent d’une cérémonie à l’honneur de l’Église romaine, et d’un acte que le Saint-Père a appris avec gratitude ? Durant cette cérémonie, Guillaume plante sur le sol l’étendard impérial : quoi d’étonnant que sur un territoire de la couronne allemande, cédé par elle à des Allemands, flottent les couleurs allemandes ? Le Patriarche latin de Jérusalem, Mgr Piavi, passe pour peu favorable à la France, la presse d’outre-Rhin le répète plus haut encore que ne le