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d’ombre parmi le vert des oliviers, tout disparaît derrière un pli insensible de terrain, et il ne reste pour adieu qu’un flocon de fumée blanche, aussitôt dissous dans l’indifférence du ciel.


C’est la seconde fois que Jérusalem a vu un empereur d’Allemagne. Le premier avait été Frédéric de Hohenstauffen.

L’empereur du XIIIe siècle vint mêler à la générosité des croisades les calculs d’un esprit vaste et d’une âme égoïste. Contraint par la foi de son temps, il avait juré sur le Christ, auquel il ne croyait pas, de s’armer contre les Musulmans. Retenu par des conquêtes plus proches et plus chères à son ambition, il avait tant tardé d’exécuter son vœu que le Pape l’avait frappé d’interdit. Pour sa réhabilitation aux yeux des peuples, il lui fallut prendre la Croix. Mais comme cette croix pesait à son cœur impatient d’autres desseins, il résolut de devenir défenseur de l’Église avec le moins de risques et de temps qu’il se pourrait. S’ouvrir un chemin vers Jérusalem par la guerre, était la seule entreprise utile à la chrétienté ; il jugea plus avantageux pour lui de s’assurer le passage par l’amitié des Musulmans. Il ne demandait en échange qu’une apparence destinée à tromper l’Occident, une entrée dans la ville, une visite au Saint-Sépulcre. Les Musulmans qui s’attendaient à soutenir le choc de l’Allemagne s’empressèrent d’accéder ; et à la condition que Frédéric ne laissât aucune garnison dans la ville et n’en relevât pas les murs, ils l’autorisèrent même à se couronner roi de Jérusalem. Ce qui devait être une croisade fut un voyage ; ce qui devait être une armée fut une escorte. La seule armée fut celle des Infidèles, réunie pour faire honneur à Frédéric. Il mit son camp sous les murs de la ville sainte, fit une entrée solennelle, se couronna au Saint-Sépulcre ; il désira sans les obtenir les honneurs religieux que les orthodoxes refusèrent au catholique et les catholiques à l’excommunié ; il fut tenu pour étranger par tous les chrétiens qu’indignaient ses complaisances pour les Musulmans ; et les Musulmans seuls le traitèrent eu hôte, en ami, en roi. Après quelques jours, il quitta la Terre-Sainte, en se déclarant protecteur et maître, sans laisser plus de trace de sa visite et de sa royauté que n’en laissait sur la mer le sillage de son navire.

À travers la diversité du temps et la différence des princes, la visite d’il y a cinq siècles et la visite d’hier ont quelques ressemblances et témoignent la perpétuité de certains traits dans le