détachement et d’absence, comme si sa pensée errait loin de ses actes. Au moment où ces troupes débouchent, le cortège impérial quitte le camp. L’Impératrice est toujours la première et en calèche, l’Empereur la suit, toujours à cheval, toujours suivi de ses deux étendards, toujours protégé contre les mauvaises rencontres de la rue par le peloton épais de son escorte, toujours défendu contre la familiarité des regards par le rempart de ses mousselines, toujours héros de roman, toujours artiste de son corps. Mais l’accoutumance rend autre ce qui reste semblable. La seule impression produite est celle du déjà vu, du trop vu : décidément à ces allures de légende manque le plus grand charme des légendes, le naturel.
Peu de gens d’ailleurs sont là pour s’en convaincre. Les touristes allemands ont depuis deux jours quitté la ville, et la population indigène ne s’est pas donné la peine d’en sortir. Les marchands sont restés à leurs échoppes, l’Empereur n’attire même plus les oisifs. Il est vrai que, s’ils étaient là, il aurait sur son passage tout Jérusalem. La nature, disaient nos pères, a horreur du vide : les souverains aussi. Le long de la route déserte, le cortège hâte sa marche vers les troupes qu’il rejoint à la porte de Jaffa. Grâce à elles, un dernier hommage salue ses derniers pas. Et quand, sous les murs de la citadelle qui tonne, l’Empereur suit les rangs serrés de la cavalerie turque, et que les hautes lances, armées de leurs flammes rouges semblent soutenir au-dessus de sa tête un dais de pourpre, un appareil de puissance l’entoure encore.
Mais à peine cette masse armée s’éloigne-t-elle des remparts, et dès qu’elle déroule sur les pentes grises et nues du plateau sa longueur mince, elle paraît amoindrie, hors de portée. Dans sa rencontre avec une nature trop vaste, elle est tout à coup vaincue, réduite à rien ; la grandeur des horizons écrase jusqu’à l’invraisemblable la petitesse des hommes. Les voitures et les bêtes se traînent minuscules comme ces carrosses et ces chevaux que les fées savaient creuser dans un grain d’avoine et atteler de fourmis. La fête est finie, et ils reprennent leurs dimensions primitives. Les sons de la musique parviennent plus grêles qu’un chant de cigales. Quand il atteint la gare, le premier monarque de l’Europe apparaît, entre ses deux étendards, comme un joli insecte à carapace blanche, et aux petites ailes striées de jaune, de rouge et de noir. Le départ du train ne fait glisser qu’une raie