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Guillaume II. En soi, tout semblait imposant : il fallait un effort pour s’aviser que, pourtant, ce mât gigantesque, s’il venait à choir, aurait peine à tomber tout entier dans la minuscule enceinte. Elle ne contenait pas même tout entière l’ombre de l’Empereur. Cette ombre, image de sa pensée toujours à l’étroit dans ce qu’il possède, avait franchi les bornes de la nouvelle conquête : tandis que le souverain accomplissait ses rites, son casque romantique promenait, par-delà la rue, une silhouette mouvante et sombre sur le mur des Arméniens. On finissait par reconnaître l’excessif dans cette représentation plus grande que le théâtre. Et si les souvenirs vénérables, que Guillaume, tout entier à sa fierté allemande, venait de passer sous silence, n’avaient sacré cette parcelle de terre, force eût été de conclure que c’était là bien du bruit pour un carré de choux.


Le départ. Jeudi 3 novembre.

Guillaume II a quitté ce matin Jérusalem. À neuf heures, il est parti en train spécial pour Jaffa, et compte embarquer sur le Hohenzollern, si la mer qui, depuis Xerxès, n’obéit pas toujours aux plus grands princes, se montre pacifique pour l’ami du Sultan.

Sur le faîte d’une maison élevée hors de la ville, entre les remparts et l’olivette qui avait reposé mes yeux le jour où le souverain faisait son entrée, j’attendais son départ. Le chemin qu’il allait suivre aujourd’hui, apparaissant tout entier, descendait en pente douce de son camp aux murs de Jérusalem, les touchait à la porte de Jaffa et remontait en larges lacets vers la gare pavoisée. Déjà de ce camp, où ne flottait plus le pavillon impérial, dévalaient toutes les voitures de cette ville où toutes les voitures sont laides, emportant, sans ordre ni préséance, les voyageurs aux blouses jaunes, les officiers de marine aux casquettes blanches, les gens de cour et les gens de service. Qu’ils fussent d’épée, de plume, de plumeau ou de casserole, tous, sans curiosité et sans gêne, avec des airs las et des postures affalées, semblaient, la pièce finie, se reposer à oublier le public. Cette cohue roulante a passé et, à l’endroit où remonte la route, se tasse en une longue et lente file, quand, derrière elle, un bataillon d’infanterie et deux détachemens de cavalerie sortent de Jérusalem par la porte de Jaffa. Ils sont le service d’honneur ; eux conservent l’aspect militaire qui est naturel à la race turque, et que chaque soldat associe à un air de