grâces que pour toutes les autres ensemble. Sur le mur qui sépare le terrain de la rue, deux photographes, sérieux comme des notaires, et notaires en effet des solennités contemporaines, préparent leurs plaques authentiques.
Un commandement militaire retentit, les marins deviennent des statues, la cour se range en demi-cercle derrière l’Empereur, qui fait face au mât et à ses soldats. « Mon grand-père Guillaume avait reçu du Sultan Abdul-Aziz un terrain qu’il a donné à ses sujets protestans de l’Allemagne. L’amitié du Sultan Abdul-Hamid m’offre aujourd’hui un autre terrain. Empereur allemand et roi de Prusse je le donne à mes sujets catholiques. Et je déclare le confier à la société catholique dont le siège est à Cologne. » La voix s’élève claire, et la lourdeur martelée des mots germaniques ajoute à l’accent de commandement, au poids d’autorité qui tombe de cette bouche C’est la religion du pouvoir qui consent à honorer le pouvoir de la religion. Au moment où ces mots s’achèvent, le pavillon impérial glisse le long du mât et fait planer haut dans le ciel la croix unie à l’aigle, tandis que la troupe présente les armes et que le souverain et sa suite, immobiles comme les soldats, tiennent la main à la visière du casque.
En souvenir de cet acte, Guillaume II a fait frapper une médaille. Tous les compagnons de son voyage la recevront, il veut sur place la distribuer lui-même à ses marins. Il va vers eux, accompagné d’un officier qui, à portée de la main impériale, tient ouverte une large boîte. Transparent et voilé, dans sa longue et flottante tunique, il glisse, avec lenteur devant le front de la petite troupe ; sans mouvement visible de son corps, sauf cette main qui puise dans la boîte et se pose sur la poitrine de chaque soldat où elle laisse un petit éclat de métal ; sans mouvement de ces soldats, sauf la clarté des yeux bleus qui, dans l’ombre de chaque visière, se lèvent tour à tour vers l’Empereur, et qui portent au maître, dans un regard droit et simple, l’hommage muet de la fidélité militaire. La distribution achevée, l’Empereur reprend sa place devant le mât du pavillon, les troupes de nouveau présentent les armes, poussent trois hurrahs, et la musique fait monter vers l’étendard l’air national de l’Allemagne.
Cette solennité de paroles, de gestes, d’attitudes, était à la mesure d’un grand événement, d’un succès glorieux, d’un terrain immense. Là se laissait prendre sur le vif ce goût de magnifier, ce don d’exagération contagieuse qui est dans la nature de