sollicitude des communautés chrétiennes, et la rivalité pieuse des Franciscains et des Arméniens était devenue une enchère au profit des propriétaires musulmans. Ce champ, planté de choux, et dont la valeur ne dépassait pas quatre mille francs, atteignit par des offres successives cent, cent cinquante et deux cent mille francs. Après avoir fait monter jusqu’à cette somme la libéralité chrétienne, les musulmans auraient voulu profiter de cette fortune imprévue. Mais l’autorité ottomane, sous prétexte que le terrain était vacouf, c’est-à-dire frappé d’inaliénabilité religieuse, avait refusé son consentement, et les propriétaires, avec la philosophie du fatalisme, s’étaient remis à cultiver leurs choux. C’est ce champ qu’Abdul-Hamid a résolu de donner à Guillaume II. On raconte même que le Sultan, calculateur en sa magnificence, a estimé seulement la terre et la récolte, et payé le tout deux cents livres turques, quatre mille six cents francs.
Comme toute volonté du Sultan est loi, les possesseurs n’avaient qu’à rendre grâces, mais comme le don du Sultan à l’Allemagne prouvait que ce sol n’était pas frappé d’inaliénabilité, ils se sont étonnés des obstacles mis jusque-là à leurs projets de vente. Résignés à perdre toute chance de gain par respect pour la destination religieuse de leur bien, ils n’ont pas compris, leur bien étant aliénable, qu’on les eût empêchés de le céder avec profit. Ils ont trouvé moyen de faire savoir à Guillaume II que, si le don de leur terrain coûtait au Sultan cinq mille francs, il leur en coûtait à eux près de deux cent mille, et bien malgré eux. L’Empereur leur a fait compter aussitôt cent vingt mille francs : on se dit sûr de la somme, on nomme la banque chargée de la verser. Quelle collaboration de souverains, si le Sultan a pris à ses sujets pour donner à l’Empereur, et si l’Empereur a dû payer ce qui lui était offert ! Je note d’ailleurs ce bruit sans preuves et sans oublier que, déjà du temps des prophètes, Jérusalem était une ville de malignité.
Acquis à titre gratuit ou à titre onéreux, le terrain appartient à Guillaume II. L’on ignore ce qu’il en compte faire et comment il en prendra possession. Ce soir, à quatre heures, le cavas du consulat m’apporte un mot. L’Empereur vient de partir pour sa possession nouvelle : si je veux voir, il est temps.
Par les rues étroites et sinueuses qui, tantôt bazars et tantôt solitudes, deviennent voûtes sous les maisons, montent en escaliers, dévalent en pentes, et parfois s’élargissent en places