peloton est sans armes et représentera la troupe dans le temple où il entre aussitôt. Ces hommes sont petits, avec des figures d’enfans et des torses d’athlètes, plus proches du soldat que du matelot, dépourvus de la souplesse qui, pour des hommes de mer, est peut-être la plus grande force, mais visiblement entraînés et solides. Déjà la grille s’ouvre et se referme sans cesse sur les Pachas et les officiers ottomans, qui sont de service auprès de l’Empereur ; sur le chef des ulémas, reconnaissable à la torsade d’or enroulée dans son turban ; sur le consul d’Allemagne et celui d’Angleterre, précédés de leurs cavas qui s’avancent en frappant le sol de leurs grandes cannes à grosses pommes d’argent ; sur beaucoup d’hommes en robe noire, petit rabat et bonnet carré comme des gens de justice ; et sur d’autres, plus nombreux encore, qui avec leur tunique rouge, leur culotte blanche, leurs grandes bottes, leur manteau noir flottant, et leur petit chapeau à plumes blanches, ont du veneur anglais, du mignon français, du capitan espagnol et semblent gens de théâtre, figurans à toutes fins qui auraient combiné, en un seul costume, beaucoup d’époques, de nations et de personnages. Ces gens de justice sont des ministres luthériens : ils se massent sous le porche du temple. Dans la simplicité uniforme de la robe, je distingue le pasteur qui parlait hier sur la montagne des Oliviers ; un je ne sais quoi d’assuré en lui et de respectueux chez les autres, dit qu’il est parmi eux le premier. Il l’est, malgré la crosse d’or dressée devant un autre personnage, qui un peu à l’écart, près du portail, se tient immobile en sa chasuble d’or. Celui-ci, de ses longs pieds à sa tête longue, à son nez mince, à son menton osseux, à son teint coloré sous sa chevelure blonde et plate, est Anglais, Anglais même en son air de piété triste comme un spleen religieux : tant de mélancolie, un aspect de douceur, plus belle quand elle souffre, et quelque chose d’austère le rendraient vénérable si ses vertus, sa tête, et sa chasuble n’apparaissaient surmontées d’un chapeau noir à haute forme. Ce prélat à la mitre laïque est l’évêque anglican de Jérusalem. Pour les gens de théâtre, ils ont leur centre d’attraction à l’autre extrémité de la rue, près de la grille : au bout de ma lorgnette, je reconnais les hommes graves, qui, le jour de l’entrée à Jérusalem, portaient sur la poitrine le cordon noir et la croix d’émail ; ce sont les chevaliers de Saint-Jean. Guillaume II a voulu qu’ils revêtissent le grand costume de l’Ordre, pour
Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 151.djvu/324
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.