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puisque la volonté de construire est certaine. Elle deviendra fait demain ou dans un siècle, peu importe. Ici pour les maisons, comme ailleurs pour les sonnets, « le temps ne fait rien à l’affaire. » C’est ainsi que l’Orient formaliste défend ses intérêts par des apparences.

Près du nouveau Temple, un couvent grec barre de sa masse la rue où l’architecture religieuse de Guillaume et l’architecture diplomatique des Arméniens se font vis-à-vis. De sa terrasse, où, quoique non orthodoxe, je trouve accueil, le regard domine, à gauche, la base du clocher sur la toiture du temple, et le portail entr’ouvert dans le retrait de sa niche ronde ; à droite le mur des Arméniens, long et mince comme le pont sur lequel les âmes des musulmans doivent passer après la mort, et, derrière ses portes fallacieuses, les décombres d’un sol vague, avec un horizon de masures plus reculées ; en face, toute la longueur de la rue étroite qui sépare l’Allemagne et l’Arménie. Ce rudiment de voie se prolonge à peu près trois cents pas, butte contre une maison qui fait pendant à notre monastère, la traverse en un passage voûté, que clôt une grille, et, par-delà le porche d’ombre noire, à travers les barreaux de la grille, apparaissent la clarté et le mouvement d’une véritable rue. C’est par cette grille et par cet étroit préau, que le cortège impérial parviendra au Temple. La disposition même des lieux dispense la police d’écarter la foule. Si la terrasse de notre couvent et celle de la maison qui clôt à l’autre extrémité la rue, ne portaient chacune une centaine de privilégiés, si le faîte du mur arménien ne servait de perchoir à quelques enfans, il n’y aurait de spectateurs que les deux mille Allemands, invités par cartes personnelles à la cérémonie religieuse.

Ils sont déjà dans le Temple. Une compagnie d’infanterie turque forme la haie dans la rue, près de la grille, qui bientôt s’ouvre, et livre passage à une compagnie de marins allemands. Le casque blanc, la chemise blanche, le col bleu largement ouvert sur le cou, la culotte bleue qui s’enfonce dans des bottes fauves, leur donnent une apparence composite de marins-cavaliers. Ils marchent avec une lourdeur allègre, dans un parfait alignement des rangs, des files et des armes ; après avoir dépassé la troupe turque ils font front ; et les deux cents fusils penchés sur leur épaule droite, se redressent, s’abaissent, et reposent à terre comme par trois déclenchemens d’un seul mécanisme. Un