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dans la crise que traverse l’Autriche, et surtout dans celle qui se prépare pour elle, il ne faut pas compter sur les assemblées délibérantes comme élément régulateur et modérateur. Les passions nationales y sont trop fortes et le respect des règles parlementaires y est infiniment trop faible pour laisser la moindre illusion à cet égard. D’autres principes d’action auront un rôle prépondérant ; et cela n’en vaudra pas mieux.


Nous annoncions, il y a quelques semaines, la mort de M. Desprez : comment ne pas dire un mot de celle de M. Fournier, qui a été, lui aussi, un bon serviteur de la France, et qui l’a représentée dans des circonstances parfois difficiles ? L’un et l’autre étaient des diplomates de l’ancienne et bonne école, qui heureusement compte encore des élèves, et qui a su défendre avec autant d’intelligence que de fermeté nos intérêts au dehors. Partout où il est passé, M. Fournier a laissé des souvenirs qui ne sont pas effacés ; mais c’est surtout à Constantinople qu’il a pu donner sa mesure. Il y était à la fin de la guerre turco-russe et au moment du Congrès de Berlin. Le rôle de la France était alors particulièrement délicat entre la Russie victorieuse, l’Angleterre, qui était intervenue pour l’arrêter dans sa victoire et l’empêcher d’en recueillir les fruits, enfin le Sultan, qui recherchait notre concours pour se relever de ses défaites. M. Fournier a été l’homme de la tâche qui lui incombait : il l’a remplie avec profit pour nous et pour l’Europe, avec honneur pour lui. La franchise que respirait toute sa personne, et dont il avait su faire une qualité diplomatique, lui avait attiré la confiance et la sympathie de tous. Son action personnelle sur le Sultan était grande, et il a pu l’exercer utilement, par exemple le jour où l’abdication du khédive Ismaïl-Pacha a posé en Égypte des questions qui ne sont pas encore complètement résolues. Mais l’espace nous manque pour revenir sur ces événemens, et, au surplus, nous ne racontons ici ni la mission de M. Fournier, ni la manière dont il l’a remplie : c’est seulement un hommage que nous voulons rendre à la mémoire d’un des hommes qui ont le mieux compris les intérêts de la France en Orient et qui les ont le mieux défendus. Ces hommes ne meurent pas tout entiers : leurs œuvres leur survivent, et il est juste que leur nom y reste attaché.


FRANCIS CHARMES.

Le Directeur-gérant, F. BRUNETIERE.