A l’ouverture de la session, elle s’est mise à étudier et à discuter les projets de loi du Compromis comme si elle avait sérieusement l’intention de les voter. La surprise a été grande ; mais on n’a pas tardé à s’apercevoir que, si l’opposition avait changé de méthode, elle n’avait pas changé de but. Elle voulait seulement enlever au gouvernement un prétexte pour appliquer l’article 14 de la Constitution, qui permet à l’Empereur, en cas de paralysie parlementaire, de substituer le régime des décrets à celui de la loi. On s’attendait à cette solution en Autriche ; il est même probable que la majorité de la Chambre la souhaitait secrètement, afin d’échapper à une responsabilité qu’elle jugeait trop lourde ; et on devait en fin de compte y arriver. Mais l’opposition avait jugé plus habile de retarder le dénouement inévitable, et de maintenir la discussion ouverte à Vienne, tandis qu’elle se poursuivrait à Pest. Il y a eu des séances très bruyantes ; on a adressé au comte Thun les outrages les plus sanglans ; toutefois les scènes de la session précédente ne se sont pas reproduites, et, par un renversement des anciens rôles, c’est Pest qui a repris les procédés auxquels Vienne avait renoncé. La Constitution hongroise ne contenant pas d’article 14, le gouvernement ne pouvait pas, à Pest, clore la session quand il lui conviendrait et recourir aux décrets. L’opposition y gardait donc tous ses avantages : elle était résolue à en user et à en abuser.
Il n’y a rien de plus affligeant que le spectacle donné par la Chambre hongroise, ni, à quelques égards, de plus inattendu. Pendant que l’obstruction régnait en maîtresse sur les bancs du Reichsrath autrichien, les journaux transleithans affectaient d’établir une grande différence d’esprit et d’éducation politiques entre les deux moitiés de la monarchie. En regardant les Autrichiens, ils auraient volontiers remercié le ciel de ne les avoir pas faits semblables à eux. La supériorité magyare semblait gagner à la comparaison. Les Hongrois considéraient leurs voisins comme tombés dans un véritable étal d’anarchie, tandis qu’ils restaient, eux, la race gouvernementale par excellence. Tout cela est changé, et le parlement hongrois, aujourd’hui, n’a plus grand’chose à reprocher au parlement autrichien. Les vieilles traditions ont été sacrifiées à ce qu’on a cru être l’intérêt du moment. On a vu une assemblée où la majorité est considérable, opprimée par une minorité intolérante, qui obstruait systématiquement les discussions, multipliait les incidens et les scrutins, fermait la bouche aux orateurs, et imposait aux ministres les épreuves les plus cruelles. Tout servait de prétexte à des émotions, qui ont fini par se propager au