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augmenter d’autant les garanties d’exactitude qu’on y peut trouver. Ce qui est plus grave, c’est qu’on appliquerait à l’impôt nouveau un rudiment de progression, que, pour faire plaisir à tout le monde, on appellerait une dégression. Un tel projet soulève des critiques ; mais on ne les lui fera pas, pour la bonne raison qu’il est mort-né. Dans la discussion des bureaux, lorsqu’il s’est agi d’élire la commission chargée de l’étudier, personne n’en a voulu, les uns le trouvant excessif, les autres insuffisant. La majorité a été plutôt favorable à l’ancien projet d’impôt sur le revenu, tel que l’avait établi M. Doumer. Parmi toutes les manières connues d’empêcher d’aboutir une réforme, ou du moins ce qu’on nomme ainsi, il n’y en a pas de plus sûre, ni d’ailleurs de plus usitée, que de l’étouffer sous des surenchères. On déclare la réforme trop étroite, on propose de l’élargir, on demande plus, toujours plus, y gagnant de passer pour un homme de progrès hardi, sans risquer aucune aventure. Cette attitude réussit longtemps auprès des électeurs : elle satisfait, par les aspirations qu’elle révèle, ceux qui veulent des bouleversemens radicaux, et elle rassure, par sa stérilité naturelle, ceux qui ne veulent rien du tout. On peut être dès aujourd’hui certain que la Chambre ne fera pas la moindre réforme fiscale. N’a-t-elle pas fait avorter, il y a huit jours, la réforme des octrois, qui était pourtant mûre, qui lui revenait du Sénat toute prête, et sur laquelle avaient pâli les assemblées antérieures ? Elle a reculé devant l’idée de voir la fin de quelque chose, de quoi que ce fût. Et voilà comment sa première année de législature a été marquée par un tel vide qu’on n’avait pas encore vu le pareil. C’est la première fois, aussi haut que nos souvenirs remontent, qu’on est arrivé au 31 décembre sans même avoir commencé la discussion du budget. Et pourtant, on avait eu soin d’alléger ce budget de tout poids encombrant. On avait adopté une méthode nouvelle, et qu’on ne saurait trop louer, qui consiste à ne plus faire du budget le collecteur et le remorqueur banal de toutes les réformes. On avait décidé que celles-ci resteraient en dehors, et seraient étudiées à part. Tout le monde a cru que le budget, débarrassé des entraves qui avaient autrefois ralenti sa marche, allait, cette fois, aboutir avec une facilité et une rapidité inaccoutumées. Le contraire a eu lieu : jamais encore on ne s’était trouvé si en retard.

Cela prouve que la Chambre ne se gouverne pas elle-même, et qu’elle n’est dirigée par personne. Elle va à l’aventure, cédant à l’impression du moment. Ses débats ont pris de plus en plus un caractère agité, passionné, turbulent, tapageur. Elle y perd de plus en plus cette