regarder les siennes, on l’aurait cru moins sensible à ce besoin ; mais c’est aux forces des autres qu’il accommode sa propre attitude, d’autant plus volontiers que, pour son compte, il lui est tout à fait indifférent de porter l’arme sur l’épaule droite ou sur l’épaule gauche. Il change aussi souvent que l’on veut. Avec cela, de la bonne humeur et des apparences de bon sens. Cet ensemble de qualités moyennes, ondoyantes et diverses, devait désigner M. Dupuy pour représenter la politique de concentration. M. Méline ayant échoué comme modéré, et M. Brisson comme radical, on a pensé qu’il convenait de faire un ministère qui serait moitié l’un et moitié l’autre. Et on est revenu à la marche en zigzags. On n’avance pas, on ne recule pas, on oscille sur place. Il y a des gens qui aiment ce genre d’exercice, et qui le croient salutaire à la santé morale d’un parlement. M. Dupuy le pratique à merveille. Un jour, il est franchement mauvais ; le lendemain, il est presque bon ; mais il est impossible de prévoir ce qu’il sera. Cette incertitude est déconcertante et fatigante.
Veut-on des exemples ? Il y a quelques jours, un député socialiste a interpellé, qui ? Le ministère Dupuy ? non ; le ministère Brisson ? pas même ; il a interpellé le ministère Méline. On voit que, si la Chambre actuelle a trouvé le moyen d’innover en matière d’interpellation, ce n’est pas dans le sens de la raréfaction. Mais ce n’est pas le seul inconvénient du nouveau système. Si le ministère qui n’est plus est l’objet d’un vote désagréable pour lui, ce désagrément est tout platonique. Le ministère est un peu dans le cas de ce condamné à mort, auquel on disait : « Prenez garde d’aggraver votre situation ! » Il est même plus à son aise, puisqu’il n’est pas seulement condamné, mais déjà mort parlementairement. Il est vrai qu’il peut ressusciter, et cette différence n’est pas sans intérêt : qu’arriverait-il, en effet, si ce ministère, quoique mort, était l’objet d’un vote d’approbation et de confiance ; et quelle serait la situation du ministère en vie ? Est-ce à cette inquiétude que M. Dupuy a cédé, lorsqu’il a fallu clore l’interpellation de M. Viviani ? Qui pourrait le dire ? Ce qui est sûr, c’est qu’au bleu de l’ordre du jour pur et simple auquel tout le monde s’attendait, il s’est rallié à un ordre du jour présenté par la gauche radicale et qui blâmait sévèrement les candidatures officielles. Confondant la Chambre des députés avec une académie, il a expliqué qu’il s’agissait à ses yeux de faire une œuvre de haute moralité politique. Après s’être élevé si haut, il n’apercevait plus l’application immédiate que la gauche radicale faisait de son ordre du jour à M. Méline et à M. Barthou. Son attitude a provoqué la surprise générale, et une indignation bien légitime de la part de ses amis