le sentiment de leur force de destruction. Il a satisfait leurs rancunes électorales et s’est fait le docile instrument de leurs vengeances. Jamais encore on n’avait vu pareille hécatombe de fonctionnaires. Voilà l’œuvre à laquelle M. Brisson a consenti à servir de couverture. Il n’y a pas eu autre chose dans son ministère : on peut chercher, on ne trouvera rien de plus. Sans doute, personne ne s’attendait à voir le parti radical accomplir la vingtième partie des réformes qu’il avait promises au mois de mai dernier ; mais il aurait pu, ce semble, — ne fût-ce que par respect de lui-même, — en amorcer une ou deux. Il s’en est abstenu avec une admirable prudence. La banqueroute a été complète. M. Peytral, ministre des Finances, s’est contenté de reprendre de vieux projets préparés par MM. Burdeau et Ribot, c’est-à-dire par des modérés ou des progressistes : mais c’est un point sur lequel nous aurons à revenir. Le ministère Brisson est tombé, comme tombent et disparaissent les choses qui n’ont pas de raison d’être. Quel est son bilan ? Dans le domaine administratif, le désordre : dans le domaine de l’invention réformatrice, le néant.
Après M. Brisson est venu M. Dupuy. Pour faire le portrait de M. Dupuy, il faudrait parvenir à le fixer, ce qui est difficile. M. Dupuy est un homme qui se transforme continuellement ; nous ne disons pas : qui se perfectionne. On ne s’en était pas douté tout d’abord. Rien qu’à le voir, il donnait la sensation physique de quelque chose de naturellement stable. La confiance du parti modéré est allée à lui, et sa fortune politique date de là. Mais M. Dupuy, sans qu’on s’en doutât, était un évolutionniste, et il évoluait tantôt dans un sens, tantôt dans un autre, afin de donner des espérances à tout le monde et de se tenir personnellement prêt à tout événement. Il a présenté, depuis quelques années, des faces si opposées qu’on ne reconnaît plus celle qui lui appartient en propre. Il fait des mots, qui sont à la vérité de mérite inégal, mais qui ne passent pas inaperçus. Le jour où une bombe a éclaté dans la Chambre qu’il présidait, au milieu de l’émotion générale, et presque caché dans un nuage de fumée, il a dit héroïquement : « Messieurs, la séance continue. » On l’a pris alors pour un homme de bronze, inébranlable, impassible, et on a cru qu’il continuerait, lui aussi, toujours fidèle à ce qu’il paraissait être à ce moment. Depuis, il a fait un autre mot moins cornélien, et qu’on a pris gaîment comme il avait été prononcé. Un interrupteur lui rappelait ses origines modérées, et même les complaisances qu’il avait eues parfois pour la droite ; — celle-ci les lui rendait bien ! — à quoi il a répondu qu’une troupe en marche avait quelquefois besoin de changer son fusil d’épaule. À