allemandes seraient brusquement supprimées, il n’est pas à supposer que notre sentiment national, dans les conflits de la politique européenne, fût assez fort pour nous retenir tous en corps de nation. Nous deviendrions la proie de peuples ayant une plus forte cohésion que nous ; nous ne demeurons unis que grâce à l’esprit de corps qui unit nos princes… Les dynasties ont formé partout les points autour desquels se cristallisa la tendance qu’ont les Allemands à se séparer en groupemens étroits. »
Voilà de profondes vérités ; mais les doctrinaires ne s’avisent jamais de tout. Ils eurent un autre tort : ils oublièrent qu’il ne suffit pas d’avoir raison, ils croyaient trop à la vertu magique des idées et des paroles. Humains et généreux, ils n’avaient garde de se dire qu’il y a des querelles qui ne se vident que par le fer et le sang, des difficultés qui se tranchent par l’épée, qu’il fallait tout d’abord que l’épée travaillât et qu’elle fût de bonne trempe.
On trouve quelquefois la chose qu’on cherche, on ne la trouve jamais telle qu’on l’avait rêvée, et les idéalistes ne s’accommodent que des bonheurs qui ont un visage de rêve. « Ne vous étonnez pas, disait le sage ecclésiastique inventé par l’auteur d’Hermann et Dorothée, ne vous étonnez pas si l’événement qu’appelaient vos désirs n’a pas la figure que votre imagination lui prêtait. Les dons viennent d’en haut, sous la forme qui leur convient. » Un autre poète, qui se défiait beaucoup des professeurs, le comte de Strachwitz, écrivait vers le milieu de ce siècle : « Vous qui ne savez dire que non, ennemis jurés des tyrans, qu’on nous débarrasse des clabaudeurs et des écrivassiers, et l’heure des héros sonnera. Jusque-là filez, tissez, travaillez assidûment et avec art à vos lacets ; quand le nœud gordien sera prêt, Dieu vous enverra un Alexandre. » L’Alexandre annoncé et prédit par le poète s’appelait Otto de Bismarck, et, par la violence et la ruse, il créa un empire allemand qui ressemble très peu à celui qu’avaient entrevu dans leurs songes les doctrinaires du parlement de Francfort. Cet homme d’une énergie et d’une clairvoyance extraordinaires imposa à une grande nation ses idées, ses desseins et sa personne, et ce fut une des victoires les plus éclatantes que l’individualisme eût remportées dans ce monde. « Laissez-nous faire, lui disait-on, nous savons ce qu’il nous faut, et nous voulons être heureux à notre façon. — Vous le serez à la mienne, répliquait-il, j’ai seul le secret des dieux. » Il prouva que ce sont les grands hommes qui font l’histoire, que leur volonté pèse plus dans la balance des destinées que les vains souhaits des multitudes. Les peuples ont des désirs confus, des inquiétudes vagues et des instincts obscurs ;