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persuasion, et de lui faire comprendre qu’elle a tout intérêt à confier le soin de ses destinées à une élite intelligente, initiée aux secrets de la philosophie politique. Le vrai libéral n’a de confiance que dans le système du suffrage restreint, il ne goûtera jamais le suffrage universel. Quand on l’y oblige, il le subit à contre-cœur et de mauvaise grâce ; c’est un mariage de convenance ou, pour mieux dire, de nécessité ; mais il ne faut pas lui demander d’aimer sa femme.

Le parti libéral allemand avait pour trait distinctif de se recruter surtout dans les universités ; c’était un parti de professeurs. Il a fait des fautes, mais il a rendu de grands services, et on s’est montré plus d’une fois injuste à son égard.

« Nos professeurs, écrivait naguère quelqu’un qui ne les aime pas, sont notre grande maladie sociale. » C’est abuser du droit d’être ingrat ; c’est oublier que les universités travaillèrent activement à créer un esprit public ; ce qui s’y disait se répétait dans toute l’Allemagne, et, quoique les orateurs enseignans qu’on y entendait ne fussent pas tous éloquens, leur parole fut le levain qui fit enfler et fermenter la pâte. Lorsqu’on 1837, 1e roi de Hanovre abolit la constitution, sept professeurs de Gœttingue osèrent l’accuser de parjure, et leur protestation eut un immense retentissement. En 1848, l’Assemblée constituante de Francfort sera surnommée le parlement des professeurs. S’il n’avait tenu qu’à eux, l’Allemagne aurait dès ce jour conquis tout à la fois son unité et toutes les libertés, elle serait devenue un empire parlementaire.

Malheureusement ces doctrinaires idéalistes ne comptaient pas assez avec les réalités de ce monde. Quelques-uns d’entre eux étaient de savans historiens, pour qui les annales de la vieille Allemagne n’avaient point de secrets ; mais ils comprenaient mieux le passé que le présent ; ils ne voyaient clair que dans les questions qui leur apparaissaient avec un certain recul. Ils ne comprenaient pas que, pour accomplir la grande réforme qu’ils projetaient, ils devaient s’appliquer à gagner avec le cœur des peuples la confiance et les bonnes grâces des dynasties, obtenir leur agrément, les convaincre qu’elles se trouveraient à l’aise et couleraient des jours heureux dans la nouvelle maison où ils leur offraient l’hospitalité. « Jamais je n’ai douté, a dit un grand réaliste, que la clef de la politique allemande ne se trouvât chez les souverains et dans les dynasties, plus que chez les publicistes du parlement et de la presse ou sur les barricades. Le patriotisme allemand a besoin d’un souverain sur lequel se concentre son attachement. Si l’on supposait un état de choses dans lequel toutes les dynasties