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à l’amour de la patrie, à la grandeur de notre passé et à notre perfectionnement futur. » Lisez entre les lignes, vous verrez que cela revient à dire : « Je crois que mon seul devoir est de m’aimer infiniment moi-même. » Et c’est ainsi qu’à Berlin, dans les premières années de ce siècle, hommes et femmes célébraient les orgies sacrées de l’individualisme romantique.

Le danger, disent les Allemands, nous apprend à prier, il nous apprend aussi à obéir. Les guerres d’indépendance firent époque dans l’histoire de ce qu’on peut appeler leur conscience nationale. Ils s’étaient battus contre un homme et pour une idée. Grands et petits, le destin leur avait offert l’occasion de se rapprocher, de s’entendre ; ils avaient vécu, aimé, haï de concert ; une passion violente avait fait vibrer tous les cœurs ; on avait mis en commun ses biens et ses maux, ses espérances et ses craintes. Les solitaires étaient descendus dans la rue, les abstracteurs de quintessence étaient sortis de leur nuage ; penseurs ou poètes, qu’ils se nommassent Fichte ou Schleiermacher, Kœrner ou Kleist, avaient senti frémir en eux l’âme des foules. Ce fut un temps de grand enthousiasme, mais il faut se défier des lendemains de fête. L’Allemagne, qui pensait que toute peine mérite salaire, s’était flattée que ses princes récompenseraient ses généreux efforts en renonçant à leur pouvoir arbitraire et absolu, qu’ils lui octroieraient quelques libertés. Ils lui avaient donné les plus belles assurances, presque tous reprirent leur parole. On lui avait tout offert, elle avait tout accepté, elle n’avait rien reçu.

Mais il y eut désormais dans tous les États allemands et surtout dans les royaumes et les grands-duchés du sud une opinion publique, vigilante et opiniâtre, qui faisait tête à la réaction, à la police, à la censure, un parti libéral, qui ne se lassait pas de rappeler aux princes leurs promesses et leurs dénis de justice. On le molestait, on le vexait, il ne se laissait pas décourager ; il savait que les têtus ont le dernier mot.

Quoique d’origine bourgeoise, le libéralisme est une doctrine essentiellement aristocratique. Les libéraux ne sont point indifférens aux souffrances et au bonheur des masses, mais ils attachent plus de prix à la dignité de la personne humaine, et ils prennent à tâche de la défendre contre toutes les attaques, qu’elles viennent d’en haut ou d’en bas ; peu leur importe que le despote soit un homme ou une multitude, toute tyrannie leur est odieuse ; ils ont horreur des dépendances avilissantes. Ils se font une idée assez relevée de l’humanité pour croire qu’il est possible de la gouverner par le raisonnement, par la