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de citer, la condition singulièrement pathétique de l’animal empoisonné par la cocaïne. Mais pour que cette opinion fût justifiée, et avec elle la théorie du curare sensitif, il faudrait qu’au cas où la cocaïne est administrée à l’intérieur, l’action portât réellement sur les terminaisons nerveuses sensitives à l’exclusion des autres parties (moelle, encéphale, nerfs moteurs). Jusqu’en 1889, on a pu croire qu’il en était réellement ainsi ; on sait aujourd’hui le contraire. On le sait, grâce aux nombreux expérimentateurs qui, en ces dernières années, ont repris, avec autant d’ingéniosité que de rigueur, l’étude analytique de l’action de la cocaïne sur le système nerveux : V. Mosso, P. Albertoni, Danilewsky, Charpentier, Biernacki, Tumass, Bianchi, Belmondo, etc.

Ils ont montré que l’analgésie n’était pas un trait caractéristique et essentiel de l’empoisonnement par la cocaïne et que cette substance ne confinait pas son action, même au début, dans le domaine des terminaisons sensitives.

En réalité, toutes les parties du système nerveux sont touchées. Les symptômes d’excitation cérébrale, l’ivresse et les troubles intellectuels prouvent l’atteinte très précoce portée au cerveau par le poison. La tendance aux syncopes, la pâleur, la décoloration des tégumens, et les troubles circulatoires et vaso-moteurs en général, ainsi que les modifications respiratoires, témoignent de l’action exercée sur le bulbe. La disparition des réflexes sensitifs dans une région du tégument non intoxiqué, à la condition que le segment médullaire correspondant ait reçu la cocaïne, révèle une influence paralysante sur la moelle, tandis que l’hyperesthésie de la peau chez les cocaïnomanes déposerait en faveur d’une action excitatrice subie par ce même organe. L’altération fonctionnelle des nerfs de mouvement est établie par la constatation, due à V. Mosso, Alms, Couvreur, que le nerf moteur a perdu son excitabilité quand ses terminaisons musculaires et le muscle lui-même conservent encore la leur. Les cordons sensitifs sont eux-mêmes affectés, en fin de compte. Tous ces résultats, obtenus dans le cas d’administration intérieure de la cocaïne, sont confirmés par la pratique des applications directes. Et il en résulte enfin que tous les organes nerveux sont sensibles à l’action de la cocaïne.

Mais dans quel ordre ces organes sont-ils frappés ? Il y a sans doute encore un peu d’incertitude à cet égard, et tous les expérimentateurs ne s’accordent point parfaitement. Cependant, on peut admettre comme sensiblement exacte la succession chronologique