Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 151.djvu/210

Cette page a été validée par deux contributeurs.

la propriété remarquable de supprimer la sensation de fatigue qui accompagne les longues marches et les travaux pénibles, d’atténuer les symptômes du redoutable soroche ou mal des montagnes, de faire disparaître ou de rendre supportables les sensations de faim et de soif. Aussi la coca était-elle « la plante sacrée » des anciens Péruviens ; ils la brûlaient, dans leurs cérémonies religieuses, sur les autels du soleil.

Cette opinion des vertus de la coca a reçu, à notre époque, une expression plus scientifique. On a dit que la coca cumulait les vertus remarquables du thé et du café, qu’elle était un anti-déperditif, un aliment d’épargne typique. Rien ne justifie ces assertions. La seule chose certaine, c’est que la coca est un excitant, qu’elle produit une stimulation générale. Elle offre les avantages et les inconvéniens des excitans tels que l’alcool, par exemple. Utile lorsqu’elle est employée avec une sage modération et à intervalles, elle devient nuisible à qui en use sans discrétion. Elle constitue dans ce cas un agent d’épuisement qui conduit ses victimes, les « coqueros » incorrigibles, à l’amaigrissement extrême, à la décadence physiologique et au marasme.

L’abus de la cocaïne entraîne d’ailleurs des conséquences analogues. Malgré la date récente de l’introduction de cette substance en médecine, il y a déjà des cocaïnomanes invétérés, comme il y a des morphinomanes, et l’on peut dire d’eux, plus justement encore que des consommateurs de coca, que ce sont des êtres physiologiquement ruinés. Indépendamment des troubles nerveux qu’ils présentent, ils sont privés d’appétit et de sommeil, et chez eux des périodes de marasme de plus en plus longues alternent avec les périodes d’excitation de plus en plus courtes qu’ils doivent à l’usage du toxique. Ces cocaïnomanes se sont rencontrés fréquemment, au début, parmi les dentistes, que l’exercice de leur profession amène à user de cette substance. Souvent, ce sont les mêmes sujets qui passent de la morphine à la cocaïne ou qui les associent. Ils recherchent, dans l’usage habituel de ce poison, une excitation cérébrale qui les tire de leur abattement, l’attrait d’impressions vives et nouvelles, et une sorte d’ivresse analogue à celle qu’aiment à se procurer les fumeurs d’opium. Les spécialistes de la médecine mentale qui ont rencontré quelques-uns de ces exemples s’accordent à reconnaître que la cocaïne est un toxique bien plus redoutable que la morphine. Elle provoque des désordres intellectuels beaucoup plus