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distinction est bien subtile et le rapprochement un peu téméraire. Dante condamnait, avec une extrême véhémence, tous les renoncemens à l’action, la complaisance ou la tiédeur des citoyens qui, désertant la lutte et se refusant au sacrifice, furon da sé, « n’ont été que pour eux-mêmes, » et Franco, par le tranquille égoïsme dont il témoignera devant nous tout à l’heure, tombe sous la sentence du grand justicier. Il manifeste, en outre, une indulgence trop italienne sur les matières les plus délicates. Une assez fière parole de Castruccio Interminelli : « J’aime la trahison, mais je hais le traître, » lui inspire cette réflexion singulière : « Aujourd’hui, on agit différemment et celui qui profite de la trahison honore le traître. Mais il arrive souvent qu’à son tour, il est trahi par son complice. » Ainsi lui paraît meilleure l’ancienne méthode qui, par l’excès même du cynisme, assurait la sécurité de la trahison, casuistique raffinée qui passera à Machiavel, comme la morale de Castruccio aux tyrans italiens du XVe siècle.

N’imaginez pas cependant que ce Florentin ait du goût pour lia violence et qu’il admire les incomparables brigands qui, « volant les veuves et les orphelins, » jetaient sous ses yeux les fondemens du principat. Il signale la condition de quatre cités, Crémone, Parme, Reggio, Modène, dont les grandes familles se massacraient et se proscrivaient entre elles jusqu’au jour où, dans chaque ville, la plus audacieuse demeura seule maîtresse et confisqua à son profit toutes les libertés communales. Mais alors de puissans voisins, les marquis de Ferrare et de Gonzague, les Visconti et les Scaliger formèrent une ligue pour l’écrasement des tyranneaux et se partagèrent leurs seigneuries, « et, plus tard encore, un autre barbier a rasé Parme et Reggio. » Il conte l’histoire plaisante d’un loup qui, à Porto Venere, poussé hors du bois par la faim, a sauté dans une barque pleine de provisions ; la barque se détache et prend la mer, et le loup s’en va gravement, comme un marin de profession, assis au gouvernail. Les paysans, et les pêcheurs, émerveillés, voguent à sa poursuite, l’entourent et le tuent. Voilà, dit Sacchetti, l’image saisissante de la tyrannie. De tels prodiges sont permis « par le Dieu éternel, » pour notre édification. Le tyran n’est jamais en sûreté, la mort le guette et l’enveloppe sans cesse. « Les louveteaux des seigneuries feraient bien de méditer cette nouvelle. »

Notre vieux guelfe a le respect de la hiérarchie rigoureuse imposée par le régime communal à la société italienne, il ne