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il y a deux mois, à cette heure où nous sommes ? Quel navire est arrivé, quel autre est parti d’ici, l’autre mois ? Qu’as-tu mangé, il y a quatre jours ; hier matin ? » L’astrologue troublé cherche, ne trouve rien, demeure confondu. « Tu as, répond-il, trop de syllogismes dans la tête. — Je me moque des syllogismes et ne te parle que des choses naturelles et vraies. Voyons encore. As-tu jamais mangé des nèfles ? — Plus de mille fois, dit le Pisan. — Tant mieux ! Combien de noyaux dans une nèfle ? — Je ne sais pas. — Et si tu ne connais pas ces petites choses, comment sauras-tu jamais les choses du ciel ? Allons ! vous autres astrologues, êtes plus sots qu’un caillou ; vous roulez les yeux en haut et vous vous tenez, la nuit, sur les toits, comme les chats ; à force de regarder le ciel, vous perdez la terre de vue. Vous n’êtes que de simples gueux, poveri in canna. »

Lui, Sacchetti, ne perd jamais la terre de vue, et les différentes sortes de poveri in canna qu’il y découvre ont les honneurs de quelques-uns de ses contes. Il nous présente plusieurs espèces de fripons et les traite, d’ailleurs, avec plus de douceur que les charlatans. Voici le pique-assiette, ser Ciolo, qui n’hésite point à s’asseoir à la table de messire Bonacorso Bellincioni, « fameux cavalier florentin, » parmi les plus nobles seigneurs de la ville. Au moment où il vient de retirer son manteau, dans l’antichambre, les laquais tout effarés accourent et lui crient : « Ser Ciolo, vous n’êtes point invité, allez-vous-en chez vous. — Je ferais vraiment honte à messire Bonacorso, répond le parasite ; ne dirait-on pas qu’il m’a chassé par avarice pure ? Si l’on ne m’a pas invité, ce n’est point ma faute, mais la faute de celui qui m’a oublié. » Il s’approche de l’aiguière et se lave les mains ; puis, très calme, va prendre sa place. L’amphitryon, surpris d’apercevoir l’étrange convive, s’informe près de ses gens et trouve excellente l’impudeur du pique-assiette ; il l’invite pour le lendemain et dit à ses serviteurs : « Chaque fois que j’aurai du monde, vous mettrez le couvert de ser Ciolo. Je vous convie, mon ami, à tous mes grands dîners. » Et ser Ciolo accepta très volontiers.

L’hôtelier Basso della Penna, de Ferrare, invente un jeu innocent qui lui rapporta, un jour, cinquante livres en sous d’argent de Bologne. Quelques jeunes tireurs à l’arc étaient entrés dans son auberge. Il les invite à placer chacun sur une table sa pièce de monnaie, avec cette condition que le propriétaire du sou où se posera la première mouche recueillera l’enjeu tout entier ; il