Pour lui, l’Italie ne montrait plus que des ruines, ruines de la vertu, de l’honneur, de l’esprit. Il composa, pour endormir son ennui et se fortifier contre le doute, quarante-neuf sermons évangéliques. Ici encore le vieux Florentin manifesta toute l’amertume de son âme à propos du déclin moral de l’Italie. « Pauvre Italie ! Aujourd’hui les ultramontains sont vertueux, et nous sommes pleins de vices. Où trouver des Allemands, des Français ou d’autres nations, même des Juifs et des barbares qui blasphèment Dieu et la Vierge Marie ? Nous sommes si corrompus, la plus grande partie des Italiens est si perverse, que la peste, la guerre et la famine n’étonnent plus personne. » Et c’est à l’Église surtout qu’il s’en prend d’une chute si profonde, à l’Église temporelle, trop orgueilleuse et trop riche. « Apôtre Pierre, de quelle ville du monde étais-tu le seigneur ? Tu possédais à peine un filet et une barque, et les multitudes se convertissaient à ta parole. » Depuis quelques siècles déjà, l’Italie entendait la même plainte stérile. Dante l’avait apprise de Pierre Damien, d’Arnauld de Brescia et de saint Antoine de Padoue ; Savonarole la rendra aux Italiens qui, au premier tiers du XVIe siècle, sans schisme ni révolution religieuse, essaieront, mais bien tard, de réformer l’Église.
Boccace est un écrivain tout à fait aristocratique. Je reconnais toujours en lui l’hôte du roi Robert, un conteur de mœurs élégantes, ami des grands seigneurs, que Je spectacle de la vie populaire divertissait assez peu. Il ne se soucie guère des scènes de carrefour, des dialogues et des querelles, de la familiarité du petit monde. Je ne le vois pas errant, par curiosité pure, du Marché-Vieux au Vieux-Pont. Le bourgeois ne se glisse sous les ombrages fleuris du Décaméron que s’il est de vieille famille communale, bourgeois de gouvernement. L’homme du peuple maigre, le paysan, le rustre n’y pénètrent que pour figurer en quelque comédie, parfois très libre. Sacchetti, dont le goût est réaliste à l’excès, dès qu’il entend la rumeur d’une foule, ouvre la fenêtre de son logis, regarde, puis se hâte de descendre dans la rue. Le brouhaha, les cris, les horions échangés, les paniques grotesques l’amusent étonnamment, et ses récits semblent alors écrits par quelque conteur picaresque de l’Espagne, aux temps héroïques de don Pablo de Ségovie et de don Guzman d’Alfarache.
Ils étaient trois aveugles du quartier San Lorenzo, à