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d’écrire les mots trop sonores que Sacchetti tire tranquillement du fond de son encrier. Mais celui-ci est un écrivain populaire, qui parle l’idiome des tavernes et des carrefours, le toscan alerte et nerveux de la vieille commune. On se souvient, en le lisant, du salut qu’un mort adresse à Dante : « Tu sembles vraiment Florentin quand j’écoute ta voix. »


II

Il l’était, certes, et de souche très ancienne, di puro sangue romano, d’une famille bien latine, que Dante a mentionnée en son Paradis. L’Italie ne reconnaissait point de plus beau titre de noblesse. Mais le sang romain obligeait sa postérité, qu’elle fût de Rome, de Florence ou de Milan, à la haine du sang germanique, à la politique militante, implacable, contre les conquérans de race étrangère, les comtes féodaux, l’Empire qui les avait imposés, et les gibelins qui formaient dans les communes le parti de l’Empereur, haut suzerain des seigneurs. La famille de Sacchetti suivit la fortune des guelfes de Florence. Exilée à Lucques, après la défaite de Montaperti, elle retrouva son foyer après la victoire de Campaldino (1289). Entre guelfes, on se détestait parfois aussi impitoyablement qu’entre gibelins et guelfes. Un Sacchetti tua un Alighieri, et les deux familles ne se réconcilièrent qu’en 1342, à l’instigation du duc d’Athènes, Gaultier de Brienne.

Notre conteur naquit vers 1330. Son père, Uguccione, fut surnommé il Buono. Ce bonhomme engendra cependant un fils fort mauvais sujet, l’aîné de Franco, Giannozzo. Comme il était en prison pour dettes, ce Giannozzo déroba les bijoux d’un compagnon de misère, et, une fois libre, s’en alla vendre son butin en Lombardie. Il rentra indûment à Florence, muni, en guise de passeport, d’un sceau contrefait de Charles de Durazzo, frère de Robert de Naples, protecteur du parti guelfe. La supercherie fut découverte et le trop ingénieux Sacchetti décapité.

Franco, dans sa jeunesse, fut marchand et grand voyageur. Il visita l’Esclavonie, dont les habitans lui parurent laids à faire peur. « Leurs femmes, dit-il, ressemblent au diable ; avec leurs hautes chevelures, elles sont noires, mal bâties, répugnantes. » Il préférait les filles de Florence et en épousa jusqu’à trois, la première en 1354, la dernière en 1396. Il eut deux fils, Filippo et Nicole. Celui-ci fut gonfalonier de justice en 1419.

L’Italie du XIVe siècle était terriblement troublée et malheureuse.