Sacchetti, lui, ne se soucie ni de Salomon, ni de Thésée, ni de Socrate, ni de Caton, ni de la blonde Iseult, ni des pairs de Charlemagne. Il lui prend une fois la fantaisie d’arranger à sa façon un conte du Novellino, la fière réponse de Saladin aux chevaliers croisés qui mangent assis à des tables bien servies et jettent « aux pauvres de Jésus-Christ, » accroupis à terre, les reliefs de leur festin. Il aligne d’abord, sous nos yeux, les trois plus grands princes chrétiens de sa connaissance, Charlemagne, Artus, Godefroy de Bouillon ; les trois plus grands païens, Hector, Alexandre le Grand, Jules César ; les trois plus grands juifs, David, Josué, Judas Macchabée. Il nous montre ensuite un Espagnol, soit juif, soit païen, « homme de beaucoup de sens et de sagesse, » qui donne à l’Empereur la leçon de charité chrétienne. Pour lui, Spagnuolo, Judeo, Pagano, c’est tout un : à savoir, un homme qui n’est pas de Florence, qu’on n’a point baptisé au Baptistère de Saint-Jean et que les hasards de la guerre ont mis en présence de l’un des neuf plus grands personnages de l’histoire : il chercherait peut-être longtemps le dixième. Je ne crois pas qu’il ait pratiqué nos fabliaux. Il s’en tient à Florence, à son histoire la plus récente, aux aventures dont les héros sont ses voisins, ses compères ; il confirme volontiers ainsi la véracité de ses récits : Io, scrittore, moi, l’écrivain, j’étais là. Parfois encore, c’est son père dont il évoque le témoignage. En dehors de Florence, sa vision est singulièrement incertaine. Il découvre encore çà et là, en Italie, des Florentins avisés, dont l’esprit égaie les petites cours des Romagnes ou la cour princière de Milan ; mais ne lui demandez pas une image originale de ces provinces qui ne sont point la Toscane, de ces seigneurs à demi féroces du XIVe siècle qui ressemblent si peu à la sage seigneurie de Florence. Le prince auquel il revient avec plaisir, c’est Barnabé Visconti de Milan. Il en fait un assez brave homme et ne se doute pas de la sauvagerie du tyran qui, aux jours d’émotion publique, lance sur son peuple la meute de ses dogues.
Il n’a pas, à la vérité, le goût des tableaux tragiques. Les scènes de meurtre, de trahison, de cruauté froide, si fréquentes chez Boccace, les histoires douloureuses qui ennoblissent le Décaméron n’apparaissent point dans les Nouvelles de France. Il aime à rire, tout en dogmatisant ; il ne conte que pour les amis du rire. La veine gauloise est très visible dans son livre, même la couleur rabelaisienne. Boccace eût brisé sa plume plutôt que