Boccace fut un très grand artiste[1]. Toscan, il sut rendre à merveille l’originalité du génie florentin, fait de finesse, d’esprit libre, d’allégresse et de grâce. Italien, il eut le sens exquis de la vie italienne, sensuelle, aventureuse, pénétrée d’ironie et de passion, indifférente à la morale, indulgente au crime. Du moyen âge chrétien, il gardait l’instinct de la grandeur, et toutes les institutions nobles des vieux âges apparaissent en ses contes : l’Église, l’Empire, le monde féodal, les communes, les princes. Il montra la physionomie propre des grandes cités et des races diverses de la péninsule ; mais au-delà de l’Italie, il aperçut clairement la France, la Méditerranée, l’Orient, l’islamisme, le monde barbare. Il a laissé des pages pathétiques et des tableaux licencieux ; mais il n’est jamais tombé ni dans la déclamation, ni dans la vulgarité. De l’argile grossière de nos fabliaux, il a modelé des œuvres légères et charmantes. Fut-il guelfe ou gibelin ? je ne puis le dire. Mais il eut de l’âme gibeline cette largeur d’intelligence, ce dédain des choses médiocres, cette sérénité et ce respect de la beauté qui distinguaient la civilisation éclose, jadis, sous le ciel de Palerme et de Naples, entre les mains du César souabe, Frédéric II. Boccace ne voulut que divertir ou émouvoir ses lecteurs ; il ne songeait ni à les purifier ni à les assagir. Son ami Franco Sacchetti essaya de réparer ce fâcheux oubli ; il se fit prédicateur d’une morale parfois assez rude, et son œuvre n’a plus rien de commun avec les fantaisies joyeuses du Décaméron.
- ↑ Voyez la Revue des 1er novembre et 1er décembre 1895.