demain s’il lui plaît, sans attenter à aucune liberté, sans établir aucun monopole, simplement en élevant l’impôt dans une forte mesure. La surtaxe payée par chaque litre comblera et au-delà, dans le budget, la diminution du nombre des litres consommés.
On affirme que la hausse de l’impôt serait une prime à la fraude ; mais la fraude n’a pas besoin de prime. Elle n’attend pas une nouvelle élévation des droits pour s’exercer ; il lui suffit de gagner actuellement 156 francs par hectolitre d’alcool, soustrait aux investigations du fisc. Elle trouve ce bénéfice satisfaisant et fait déjà tout ce qu’elle peut ; il ne faut pas attendre d’elle de nouveaux efforts. Chaque mois se révèlent des artifices nouveaux, vraiment admirables, mais non pas plus que la sagacité des agens qui les devinent et les rendent illusoires. Les découvertes de la botanique, de la chimie la plus avancée, sont mises à profit pour détourner, introduire et finalement exonérer du paiement quelques hectolitres d’alcool. Tantôt les fleurs sèches d’un arbuste, inconnu en Occident, le Mowra, sont importées des Indes et, n’étant pas désignées au tarif, entrent d’abord librement, jusqu’à ce que l’administration discerne au fond de leurs corolles, jolies encore quoique fanées, un sucre naturel dont la richesse équivalait à 50 pour 100 de leur poids. Ces bouquets orientaux fournissaient ainsi des spiritueux de contrebande.
Tantôt l’alcool, solidifié, passe la frontière à l’état de briquette ou de pain de savon. Homère a narré qu’au siège de Troie les Grecs avaient du vin en tablettes dans leurs bagages. Les douaniers ne lisent pas Homère sans doute ; mais ils n’ont pas tardé à éventer ce suif insolite, chargé de 70 pour 100 d’alcool. La France dispose à cet égard d’un organisme merveilleux : cette armée de modestes commis, auxquels le peuple a décerné le sobriquet de « rats-de-cave, » et dont la main agile et probe fait rentrer la moitié de nos recettes publiques.
Comme ce petit prince des contes de notre enfance, qu’un groupe de bonnes fées, invitées à son baptême, viennent l’une après l’autre gratifier des plus heureux dons, jusqu’à ce qu’une fée mauvaise, « que l’on a oublié de prier, » surgissant furieuse à la fin de la cérémonie, jette sur lui un sort redoutable ; ainsi, le siècle qui va finir, privilégié par tant de bienfaits pour la condition matérielle et morale des hommes, aurait reçu d’une méchante fée le présent déplorable de l’alcool. Le « fléau de l’alcoolisme » est devenu un thème banal, et je suis loin de le nier, pour ma