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industriels et, comme au droit réduit de 37 fr. 50 il fallait ajouter les frais de dénaturation et la dépense de méthylène, c’était une somme ronde de 43 francs par hectolitre qui les grevait. En France du moins, car en d’autres pays l’État avait depuis longtemps reconnu la nécessité de livrer cette marchandise, franche d’impôt, aux usines qui en font usage. Un homme d’esprit large et avisé, que ses fonctions au ministère des finances mettaient plus directement en rapport avec l’étranger, M. Pallain, signalait depuis longtemps l’urgence, dans notre législation, d’une réforme dont le but serait d’affranchir l’industrie en taxant l’estomac. L’ancien directeur général des douanes a eu la satisfaction de voir exécuter, du moins, la première partie de son programme, par une loi récente qui réduit à 3 francs seulement par hectolitre l’impôt des alcools dénaturés.

Ce sera le retour à la vie de tout un ordre de manufactures qui agonisent ; si toutefois le remède ne vient pas trop tard. Nous avions attendu trente ans pour emprunter à l’Allemagne sa législation sur les sucres ; la loi allemande sur les alcools, dont la nôtre vient de s’inspirer, remonte à 1879. Elle ne frappe que les esprits entrant dans des boissons ou des alimens quelconques et exempte totalement ceux qui, dans l’industrie, servent d’agens de fabrication ou de matière première. Elle offre à ces derniers, pour la dénaturation, le choix entre quinze systèmes et substances diverses, tous simples et bon marché ; et cette réglementation, beaucoup plus libérale que la nôtre, ne donne lieu qu’à des fraudes insignifiantes, comme l’a montré dans un rapport public le conseiller intime du Trésor, M. Koreuber, chef du service intéressé à Berlin. Sept cent mille hectolitres d’alcool, au lieu de 160 000 en France, sont utilisés en franchise, de l’autre côté du Rhin, soit par des particuliers pour le chauffage et l’éclairage, — les Allemands, en mêlant à l’alcool 1/10e d’essence de térébenthine, obtiennent une très belle flamme blanche, — soit par des usines qui malheureusement, grâce à ce régime, ont tué les nôtres.

Ainsi a disparu de chez nous l’industrie des alcaloïdes et de tous les produits chimiques et tinctoriaux, qui ne peuvent se passer de l’alcool. À une époque peu éloignée, le ministère de la guerre eut à donner des commandes importantes d’éther sulfurique, pour la fabrication des nouveaux explosifs, de la mélinite et de la poudre sans fumée ; il ne trouva en France aucune