recommandait du nom de quelque « congrégation non autorisée, » sans doute pour inspirer plus de confiance, — témoignage d’une âme naturellement chrétienne, eût dit Tertullien. — Dans la branche des liquides seuls surgirent la Trappistine, la Feuillantine, la Visitandine, la Chanoinesse, la liqueur des Cordeliers, etc. Il en est qui firent faillite et disparurent. Une seule, la Bénédictine, réussit assez pour que son histoire trouve place ici.
L’inventeur. M. A. Le Grand, négociant en vins à Fécamp, habile et considéré dans sa profession, n’avait d’ailleurs rien d’un bénédictin, même de la moins « étroite observance, » puisqu’il était marié et père de vingt-deux enfans en 1863. C’est précisément la préoccupation de caser cette nombreuse descendance qui lui suggéra l’idée d’une affaire plus vaste que son commerce local. C’était un audacieux : il n’hésita pas à faire, pour lancer son produit, une réclame gigantesque qui lui coûta 800 000 francs, la totalité de sa fortune.
Le résultat fut modeste tout d’abord : 28 000 litres en 1864 ; mais les exercices suivans accusent une progression constante, si bien qu’en 1889, il était arrivé au chiffre de 644 000 bouteilles et que, depuis neuf ans, ce chiffre a presque doublé : la vente annuelle dépasse maintenant 1 100 000 de ces bouteilles dont l’aspect trapu, l’ornementation ingénieuse, compliquée de capsules, de plombs et de cachets multicolores, n’a pas été, au dire des créateurs eux-mêmes, étrangère au succès du contenu. L’entreprise avait pris, en 1876, la forme d’une société anonyme, divisée en actions de 500 francs, dont le cours actuel à la Bourse de Rouen est d’environ 4 700 francs. Le bénéfice net réalisé de 1 franc par bouteille est proportionnellement moindre qu’à la Grande-Chartreuse, parce que les frais généraux sont beaucoup plus élevés : la publicité seule absorbe 500 000 francs par an, mais la publicité n’aurait pas suffi à assurer le succès dans le monde, — les deux tiers de la Bénédictine sont exportés au dehors, — de cette liqueur que les Anglais ont baptisée « Dom, » les Russes « Monachorum » et les Suédois « Munck licor, » si, par la fondation d’une distillerie à son usage, en Algérie, par la préparation méticuleuse des arômes et par le vieillissement de la liqueur, au moyen de chauffages et de refroidissemens alternatifs, les membres de cette famille patriarcale n’avaient travaillé de concert au succès de l’œuvre paternelle.
Le « secret » de fabrication est peu de chose ; suivant les