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plus estimé. Le célèbre rhum de la Jamaïque procédait de la canne violette, qui lui donnait un arôme particulier. Si l’on en croit un traité classique de la fabrication des liqueurs, on se rapproche beaucoup de ce goût en introduisant dans le baril, destiné à contenir le rhum, la fumée d’une poignée de paille imprégnée de goudron et en laissant, à cette vapeur, le temps de se condenser sur les parois du tonneau.

Quoique la chose ne laisse pas de surprendre, le goudron fait partie de toutes les recettes. Celles-ci contiennent au surplus des élémens hétéroclites : outre les « rapures de cuir tanné, » base obligatoire d’une bonne « sauce, » on y met tantôt de l’écorce de bois de chêne pilé et des clous de girofle, tantôt des zestes d’oranges et… des truffes noires. Une petite dose de caramel, afin de donner la couleur, et le rhum est prêt à embarquer pour l’Europe. Les 140 000 hectolitres que nos colonies expédient chaque année à la métropole, constituent la presque totalité de nos importations d’alcools, tandis que nous en envoyons le double à l’étranger.


V

Pour les liqueurs, la France vend au dehors 3 millions de bouteilles, vingt fois plus qu’il n’en est introduit chez elle. Cette branche de trafic, à peu près nulle il y a cinquante ans, du moins pour les entrées, est passée de 10 000 bouteilles à 150 000, presque exclusivement représentées par le kummel russe, — mélange d’eau-de-vie, de sucre et des graines de chervis et de cumin, — et par quelques marques hollandaises, les doyennes de l’industrie des liqueurs dans le monde, puisque les Wynand Focking datent de 1678 et que la maison Lucas Bols a été fondée en 1575.

La France du XVIe siècle ne connaissait encore que l’hypocras — renouvelé des Grecs — et le « grand arcane » de Paracelse que ce chimiste nommait « élixir de propriété. » — « Voulez-vous un trait d’hypocras blanc ? dit Pantagruel. N’ayez pas peur de l’esquinancie ; non, il n’y a dedans ni squinanthum, ni gingembre, ni graine de paradis (cardamome) ; il n’y a que la belle cinnamome triée, et le beau sucre fin avec le bon vin blanc du cru de la Devinière. » Ce breuvage où, comme on le voit, on faisait infuser des épices de toutes sortes, et qu’en général on avalait chaud, ainsi que le « galant » ou la « saugée, » semble analogue au populaire « saladier de vin » de nos jours, comme