partie de leurs principes aromatiques ; le tout est repassé ensemble à l’alambic, où le noble parfum du jus de raisin appauvri épouse le riche alcool de betterave.
Le mariage se fait parfois au moyen d’un simple coupage ; la détresse d’ « esprit-de-vin » excitait le vigneron, lors des années difficiles du phylloxéra, à augmenter peu à peu la proportion du trois-six dans le mélange, comme le creusement des rides sur sa figure pousse une coquette à épaissir graduellement sa couche de fard. Or, il n’existe, quoi qu’on ait pu dire, aucun moyen chimique de reconnaître l’addition de l’alcool à l’eau-de-vie de vin. De gros négocians m’ont avoué n’avoir d’autre critérium, pour vérifier la pureté de celle qu’ils achetaient, que de procéder eux-mêmes, sur des échantillons, à un coupage de contrôle que les armagnacs non adultérés déjà supportent seuls sans devenir insipides.
En somme, ainsi que le disait finement un haut fonctionnaire des finances, si l’administration avait exécuté à la lettre les prescriptions d’une loi intempestive qui réservait aux seules eaux-de-vie de vin les « acquits » blancs et infligeait aux autres des acquits rouges ou bleus, elle eût préjudicié gravement, durant une période critique, à notre commerce national en proclamant la disette des « esprits-de-vin » authentiques.
Est-ce à dire qu’il n’y en ait plus ? À Dieu ne plaise ! Mais il faut avouer que les meilleurs ne se boivent pas en France. Il en a toujours été ainsi ; un relevé des expéditions de Cognac, faites de 1850 à 1868, montrait que le quart seulement des eaux-de-vie de cette région était à destination de l’intérieur. La hausse des prix, depuis 1855, est venue accroître encore la part de l’étranger : sur 100 hectolitres d’eau-de-vie de luxe, 90 vont se répandre dans les deux hémisphères ; le dixième seulement sert à la consommation indigène. Cette proportion se retrouve assez exactement chez les deux négocians dont la marque est le plus connue : Martell et Hennessy. Les fondateurs de ces deux maisons étaient eux-mêmes d’origine étrangère : le premier Martell, qui inaugura en 1780 des relations directes avec l’Angleterre, venait de Jersey ; à la même date, James Hennessy était cadet dans la brigade irlandaise en garnison à Douai. Voué à la carrière des armes qu’il