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attendre et de saisir le bon moment. Nous ne croyons pas, encore aujourd’hui, que la diplomatie européenne ait éprouvé des appréhensions absolument chimériques lorsqu’elle s’est opposée à un agrandissement de la Grèce, même en dehors du continent, alors que la guerre avait éclaté en Thessalie et que toutes les principautés balkaniques, anxieuses et impatientes, n’étaient que difficilement retenues ou contenues dans leurs frontières. La moindre imprudence aurait pu amener des hostilités générales. Il est facile de nier le danger lorsqu’il est passé, mais un danger qui était reconnu à Londres, à Rome, à Vienne, à Berlin, et même à Saint-Pétersbourg, aussi bien qu’à Paris, ne pouvait pas manquer de quelque réalité. Les esprits étaient partout surexcités. Le calme est venu ensuite, puis la lassitude. Personne, maintenant, n’aurait l’idée de rallumer la guerre qui s’est éteinte. Voilà pourquoi ce qui était périlleux, il y a deux ans, a cessé de l’être ; mais il ne faut pas raisonner sur les mêmes choses sans tenir compte de la différence des temps. Cette candidature du prince Georges était depuis longtemps dans la pensée du gouvernement russe ; toutefois, il s’était bien gardé de la découvrir hâtivement, et il avait eu raison. Il l’a fait au mois de janvier dernier ; c’était encore trop tôt ; on a dû la replonger dans l’ombre. L’opposition de la Porte avait encore quelque force. Maintenant, tout est changé. Les temps changeront encore, et, si le prince Georges répond à la confiance et aux espérances que les quatre puissances ont mises en lui, il a les chances les plus sérieuses d’accomplir un jour la grande œuvre que le patriotisme hellénique préparait depuis longtemps dans ses rêves, et dont les chrétiens de Crète poursuivaient la réalisation à travers des péripéties douloureuses. Elle ne pouvait aboutir qu’avec les sympathies de l’Europe, et notamment des quatre puissances qui, à aucun moment de leur histoire, n’ont déclaré se désintéresser des affaires d’Orient.

Francis Charmes.
Le Directeur-gérant,
F. Brunetière.