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pacification de l’île et d’y établir une administration régulière. Ses pouvoirs auront une durée de trois ans, et seront renouvelables. Son premier soin devra être, d’accord avec l’assemblée nationale où tous les élémens crétois seront représentés, d’instituer un système de gouvernement autonome, capable d’assurer dans une égale mesure la sécurité des personnes et des biens, ainsi que l’exercice de tous les cultes. Il devra en outre procéder immédiatement à l’organisation d’une gendarmerie ou d’une milice locale, à même de garantir l’ordre. Tels sont les termes à peu près textuels du mandat qui lui a été confié, et qu’il a accepté avec l’autorisation du roi son père. Comme, pour toutes choses, il faut de l’argent, chacune des quatre puissances lui fera une avance d’un million à valoir sur l’emprunt futur. Le prince aura donc quatre millions pour les premiers besoins : très probablement ils seront bientôt épuisés, — non pas les besoins, mais les millions. Quant au sultan, sa suzeraineté est formellement reconnue, et son drapeau flottera sur un des points fortifiés de l’île ; mais c’est tout ce qui restera de lui, un symbole, un souvenir. Le prince Georges ne sera même pas son vassal. Ce n’est pas sans motifs qu’on lui a donné le simple titre de haut commissaire : pour le nommer gouverneur, il aurait fallu obtenir l’assentiment, et même l’investiture du sultan, et on n’y aurait certainement jamais réussi. Lorsque le sultan a su que les puissances avaient fait choix d’un prince hellène pour l’envoyer en Crète, sa douleur a été vive et il s’est répandu en protestations, qu’il a adressées à toutes les puissances. Il aurait accepté toute autre solution de préférence à celle-là ; mais, au point où on en était, c’est précisément celle-là qui était indiquée. C’était celle qui devait être accueillie le plus favorablement en Crète ; elle y était désirée et attendue, et le sultan avait si maladroitement manœuvré depuis quelques mois que ses préférences ou ses répugnances ne pouvaient plus être que d’un poids léger dans la balance. Au reste, cette solution s’est imposée par les fautes, non seulement du sultan, mais des puissances, et par une conjuration des événemens qui a été la plus forte. Ce n’est pas à dire que les quatre puissances n’étaient pas disposées à s’y rallier ; elles la désiraient au contraire depuis longtemps ; mais, pour réaliser ce désir, il a fallu, d’abord qu’elles se trouvassent délivrées du veto de l’Allemagne, et ensuite qu’elles n’eussent plus de ménagemens à garder envers la Porte. On sait comment l’Allemagne, suivie de l’Autriche, a quitté le concert européen, tout en protestant qu’elle y restait fidèle par le cœur. Après cette retraite, l’empereur Guillaume n’avait plus qu’à accepter les décisions des quatre puissances, et c’est ce qu’a