Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 150.djvu/933

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

D’autres fois cependant, comme je l’ai dit, Fontane paraît avoir essayé de compliquer l’intrigue de ses récits, afin d’en faire des romans du genre des nôtres. Mais son instinct y répugnait si fort que, même avec une intrigue, ses romans restent presque toujours dépourvus d’action ; les péripéties sont expédiées en quelques lignes, comme à contre-cœur, pour laisser de nouveau la place aux peintures, aux dialogues, à une notation infinie de menus détails. Et ces romans sont d’ailleurs la partie la plus faible de l’œuvre de Fontane, celle aussi que ses compatriotes ont le moins goûtée ; tandis que Stine, Irrungen Wirrungen, l’Adultera, tous ces livres où il ne se passe rien, deviennent sans cesse plus familiers au public allemand. Ils n’ont pas, et ne sauraient avoir, la vogue populaire des romans de M. Sudermann ou des nouvelles de M. Heyse ; mais, tout en les lisant moins, on les estime davantage. On sent que ce sont des œuvres qui compteront dans l’histoire de la littérature nationale, et que les connaisseurs ont raison de les admirer. Et en effet ceux-ci, les jeunes et les vieux, s’accordent dans l’éloge des romans de Fontane. Les défauts que nous y avons signalés ne semblent pas les choquer ; ils ne trouvent à redire ni à la pauvreté de l’action, ni à la longueur des dialogues, ni au manque d’unité ; et volontiers ils avoueraient que ces romans les touchent surtout par la perfection de leur forme, par ce qu’ils ont d’élégant, de pur, presque de classique.


Parfaits, les romans de Fontane ne le sont certes pas, ni classiques, au sens où nous avons coutume d’entendre ce mot. Mais ils sont allemands, et c’est ce qui les rend si chers aux lettrés allemands. Car les progrès de la civilisation ne sont pas encore parvenus, Dieu merci, à imposer à l’Europe entière un idéal uniforme. On ne se fait pas encore la même idée de la beauté en Italie qu’en Norvège, quelque zèle que mettent d’ailleurs les Italiens à devenir Scandinaves. Et pour ce qui est du roman, en particulier, la célébrité des romans de Fontane prouve que l’Allemagne reste fidèle à son ancienne manière de le concevoir, qui n’a rien de commun avec notre manière française. Ce qui, dans ces romans, nous parait contraire aux règles essentielles du genre, la pauvreté de l’action, le manque d’unité, et la lenteur du développement, et la surabondance des hors-d’œuvre, ces défauts se retrouvent dans tous les grands romans de la littérature allemande, depuis ceux de Gœthe et des romantiques jusqu’à ceux de Freytag et de Gottfried Keller ; et ils n’y sont des défauts que pour nous, avec notre habitude d’exiger d’un roman les qualités opposées. Après