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par mille abjects compromis, notre morale n’est peut-être plus bonne qu’à l’ignominieux usage qu’en font Clotilde et Lafont. Pour moi, je ne dépenserais pas la millième partie d’une goutte d’encre à la défendre, non plus que la société malpropre qui est bâtie dessus. » Et ailleurs : « Le Nouveau Jeu nous apprend que si cela continue il n’y aura bientôt plus en France ni pères, ni mères, ni maris, ni femmes ; que la famille est dissoute et que l’amour, même avec le fameux attrait du « fruit défendu, » est en train de devenir une chose parfaitement insipide et ennuyeuse. Vous avez entendu des personnes graves dire en gémissant que « le respect s’en va. » Le respect s’en va parce qu’il n’y a plus rien à respecter. » Ce sont gentillesses de pessimiste. Et ces condamnations sommaires prouvent une fois de plus que ce n’est rien de joli que la société française, quand on l’aperçoit de Londres à travers la littérature contemporaine. Elle a meilleur air quand on l’envisage directement, en elle-même, et sans parti pris de littérateur. Mais ce n’est pas impunément que la comédie nouvelle est sortie du Théâtre-Libre ; il lui est toujours resté quelque chose de ses origines ; et quand on veut faire des portraits ressemblans, c’est un tort de s’être d’abord fait la main par la caricature. Il y a pourtant un signe dont je ne nie pas la gravité. Ce qui m’inquiète, ce ne sont pas les tableaux qu’on me montre sur la scène, mais ce sont les applaudissemens que j’entends dans la salle. Une société qui applaudit au spectacle de sa prochaine dissolution, cela chez nous s’est déjà vu ; une société qui acclame ceux qui travaillent à la détruire, cela en France n’est pas nouveau. C’est pourquoi ceux qui se souviennent et ceux qui voient ne peuvent songer à l’avenir sans angoisse.


RENE DOUMIC.