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elle est détraquée, ses sens sont exigeans. Car l’amour est resté, bien entendu, le thème à peu près unique de toutes les comédies. Cet amour, depuis qu’il y a des dramatistes, des romanciers et des poètes, on s’était efforcé de le parer de toute sorte de prestiges, et de diminuer, de refouler ou de dissimuler la part de l’instinct, puisque, après tout, il est impossible de l’éliminer. Nous avons changé tout cela. Ceux qui disent que nous avons tué l’amour sont pour nous très injustes. Il y a au contraire dans le théâtre d’aujourd’hui un débordement de frénésie sensuelle. On a fait flamber sur la scène toutes les ardeurs de l’amour. On en a dévoilé tous les mystères. On a ouvert toutes les alcôves. On a crié devant les hommes et les femmes assemblés tout ce qui jadis se chuchotait. Un type de femme s’est campé hardiment sous les feux du lustre et sous le feu des regards : c’est l’amoureuse. Et depuis qu’elle a conquis le théâtre, celui-ci a perdu jusqu’à la notion, si simplement belle, de l’honnête femme.

Au surplus, à voir les hommes qu’on nous montre au théâtre, on comprend sans peine que les femmes ne se résignent pas à subir leur loi, et on devine que si elles continuent de les aimer, il faut que ce soit pour leur beau physique. Car il n’y a pas moyen qu’elles s’exaltent pour leurs perfections morales. Cela est curieux, tout de même, quand on y songe, que parmi tant de messieurs qu’on voit se promener sur les planches, élégans et fleuris, il n’y en ait jamais un qui exprime une idée noble, un sentiment généreux. Si encore ils avaient l’ambition de parvenir, la religion de l’intérêt, le culte de la force ou de quoi que ce soit ! S’ils avaient cette férocité où on a voulu pendant quelque temps voir le signe distinctif de la jeunesse contemporaine ! Mais ils ne sont pas même féroces. Ils ne sont pas violens. Ils ne sont pas méchans. Ils ne sont rien. Ils ne sont pas… L’incapacité de faire aucun effort est tout leur caractère. Ils se laissent aller, ils s’abandonnent. Ils assistent en témoins ironiques à la débandade de leur conscience et à la déroute de leur volonté. Des pleutres et encore des pleutres. En vérité, quand on assiste aux pièces d’aujourd’hui, on ne se sent pas extrêmement fier d’appartenir au sexe masculin.

Le divorce étant inscrit dans la loi, et ayant introduit dans la société un ferment de dissolution si actif, porté à nos mœurs un coup si décisif que la magistrature elle-même s’en est émue, on pouvait croire que le théâtre, fidèle à son rôle de critique, allait se retourner contre le divorce. Il n’en a rien été jusqu’aujourd’hui. C’est contre le mariage qu’il continue de s’acharner ; et il a juré de mettre en lambeaux le peu qui reste de cette vieille institution. Le mari nous est encore donné