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phénomène. L’introduction du naturalisme dans le roman s’était faite par concession au goût de la foule. Au contraire les fournisseurs du Théâtre-Libre se tinrent à l’écart non seulement de la foule, mais même du public ordinaire des théâtres. Ils travaillaient pour un public spécial, toujours le même, et que nous nous dispenserons de qualifier d’élite. Dans cet isolement où ils s’étaient rélégués, dans cette atmosphère surchauffée et violemment factice, leur art ne pouvait manquer de s’étioler et de périr. Ce fut l’affaire d’une trentaine de soirées. Les naturalistes ont tué sous eux le naturalisme théâtral. Ils nous en ont prestement débarrassés. C’est la bonne besogne dont on ne saurait trop les remercier.

Délivré pareillement de l’ancien système qui n’était plus viable et du nouveau qui ne l’avait jamais été, le théâtre redevenait vraiment libre. Il accueillait plus ou moins les modes multiples et variées auxquelles se prêtait la littérature comme pour mieux se prouver à elle-même qu’elle avait échappé au cauchemar naturaliste. La mode du théâtre suit à quelque distance la mode du roman. Le roman d’analyse avait été remis en honneur par M. Paul Bourget. M. de Vogué nous avait appris à goûter les romanciers russes ; les dramatistes norvégiens avaient fait leur entrée en scène. Comme au début du siècle, on assistait à une furieuse poussée de cosmopolitisme. Au Théâtre-Libre succédait l’Œuvre, où opéraient les symbolistes. Et il y avait les chansonniers du Chat-Noir, les esthètes et les fervens de la pantomime, les fantaisistes, les parodistes, les fumistes et d’autres encore, nés d’hier, sitôt disparus et déjà oubliés : toute une éclosion ou tout un pullulement. Mais en art rien n’est inutile, rien ne se perd. La stagnation seule est sans remède. De ces reconnaissances en toutes les directions, et des aventures même où l’entraînèrent quelques Jocrisses d’avant-garde, la comédie est sortie renouvelée. Les « jeunes » auteurs d’aujourd’hui, pour la plupart académiciens, y ont gagné d’avoir entre les mains une forme d’art assez souple pour que chacun puisse, à peu près, la plier au gré de son talent personnel.

Il y a donc à l’heure actuelle un système dramatique qui, en tant que système, est définitivement aboli. C’est celui qui, prenant ses origines dans la comédie de Beaumarchais, fut organisé par Scribe, et amené par Dumas et Augier à la vie littéraire. Ce système a vécu ; mais c’est bien joli que d’avoir pu vivre, et nous éviterons d’affecter à son égard un dédain trop superbe. Il reposait sur ce principe, qu’au théâtre l’intérêt de curiosité prime toutes les autres sortes d’intérêt. Il consistait essentiellement dans l’invention d’une architecture