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et raboteuse, le penchant de la colline. Ce chemin, consacré par les siècles, est peut-être celui que prit le Sauveur pour faire, dans l’angoisse et l’acceptation du prochain sacrifice, la dernière veillée de sa vie terrestre. Mais les voies de l’Homme-Dieu sont trop étroites pour les empereurs. Le sultan a fait établir une large route qui, par un grand contour au nord et une rampe douce, gagne la crête du mont, et Guillaume II rend à Hamid sa politesse en usant aujourd’hui du nouveau tracé. Il est quatre heures, les flèches, toujours brillantes mais plus obliques, du soleil, glissent sur nous sans nous blesser, et de la terrasse consulaire nous avons vu déjà l’escorte galoper le long de la rampe. Nous partons à notre tour, une bête de volée devant celles du timon : ce ne sera pas trop pour haler notre calèche sur les deux pouces de poussière qui servent ici de macadam. Nous nous élevons, décrivant autour de Jérusalem un circuit qui rappellerait le Viale dei Colli autour de Florence, vers San Miniato, si le pays des fleurs et des montagnes aimables pouvait être évoqué dans la région des terres incultes et des formes désolées. La ville abaisse peu à peu ses hauts murs et livre à nos regards, par-dessus ses collines et ses vallées couvertes de maisons à terrasse, les grands édifices de la foi, les dômes élevés à des religions ennemies, et derrière lesquels le couchant met la gloire commune de ses rayons. De ces monumens le plus proche, le plus vaste, le plus beau dans sa solitude unique est la mosquée d’Omar. Près du rempart qui domine la vallée de Josaphat, l’édifice élève la régularité de son enceinte octogone et de l’enceinte semblable qui, plus étroite et dressée sur la première, soutient la coupole aux courbes d’ogive arabe. Nous ne pouvons jouir de sa gloire la plus vantée, des vitraux qui jettent des feux de pierres précieuses sur l’or des plafonds sculptés et sur l’éclat des mosaïques byzantines. Mais ses revêtemens extérieurs de faïences aux tons verts et bleus sont admirables de douceur claire sous la haute calotte aux longues stries de plomb. Surtout d’ici éclate sa beauté suprême, son isolement sur l’esplanade immense qui étend le long du rempart sa blancheur dallée et nue. Autour de sa prière, l’Islam a su faire le vide. Il n’a voulu autour d’elle que des souvenirs. Il a pour seuls voisins les innombrables morts qui dorment à ses pieds dans la vallée, il a construit sa demeure sur la mort même, où avait été le temple dont il ne reste pas une pierre, et sur la fin de tout ce qui fut et n’est plus, il dit magnifiquement