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tenu à obtenir des cultes étrangers au sien tous les respects que la conscience ne les obligerait pas à lui refuser. Des négociations ont été ouvertes pour régler la manière dont il serait reçu. Même au Saint-Sépulcre, les religions sont de grandes ou de petites puissances. Les grandes sont la latine, la grecque et l’arménienne : celles-ci, tandis que les autres se contentent d’une chapelle, se partagent presque tout l’édifice, et elles ont chacune à Jérusalem un patriarche. D’eux on eût voulu obtenir des pompes, ils n’ont voulu promettre que des politesses, et l’empereur doit s’en contenter. Les patriarches ne revêtiront pas leurs ornemens pontificaux ; ils ne seront pas à la tête de leurs clergés ; il n’y aura pas de cérémonies religieuses. Les patriarches en leur costume de ville attendront Leurs Majestés : le Latin à la porte de la Basilique ; l’Arménien à la pierre de l’Onction, où fut embaumé le corps du Christ, le Grec au seuil du Saint-Sépulcre, et le seul encens offert à Guillaume sera celui de trois discours volontairement vides ; et, par crainte des bombes ou des poignards, vide aussi sera l’édifice. Ce sont là des honneurs de machine pneumatique. Bien que notre consul général ait ménagé à quelques Français le moyen de pénétrer dans la Basilique, j’ai mieux aimé voir l’entrée dans Jérusalem. Mais un ami qui avait préféré le parti contraire m’a raconté la visite de l’église. L’empereur, son casque pendu à sa ceinture, est passé de patriarche en patriarche, les a écoutés d’un air impassible, leur a répondu par un serrement de main sans effusion, a accepté leur compagnie comme celle de cicérone, dans la partie de l’édifice qui leur appartenait, a tout parcouru d’un regard bref, n’a contemplé rien avec vénération. Il tenait à la main un stick : badine ou cravache, c’était trop. Au Christ seul appartient d’entrer avec un fouet dans le temple, parce qu’il en chasse les marchands. Dans la partie la plus sacrée de la Basilique, le Sépulcre, Guillaume II a pénétré seul avec l’impératrice. Là sans doute il a laissé tomber le masque hautain qu’il porte pour les hommes et qui n’impose pas à Dieu.

La visite n’a pas duré plus d’une heure. Voici à la porte de Jaffa les troupes qui reprennent l’immobilité ; voici rassemblés les chevaux que l’on promenait en main ; voici le cortège qui passe de nouveau et en sens inverse sous nos balcons. Son désarroi apparaît plus crûment encore. Derrière les gendarmes, avant la voiture de l’impératrice, deux hommes vêtus de complets gris et couverts de chapeaux à larges bords passent sur de solides