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turcs jettent parmi les vieilles pierres l’éclat gai de soieries aux couleurs d’étendards ; quelques visages intrépides apparaissent sans voiles derrière les créneaux ; et tandis que deux de mes compatriotes discutent si, plus curieuses ou plus coquettes, ces Ottomanes préfèrent voir ou être vues, j’admire, sur le fond lumineux du ciel qui remplit l’ogive d’une meurtrière, la silhouette élégante et pure d’une femme debout et voilée.

Le moment approche. Les jeunes filles de la colonie allemande, portant l’écharpe noire blanche et rouge, se hâtent vers l’estrade qui leur a été préparée presque au-dessous de nos balcons ; des pachas roulent en voiture vers la porte de Jaffa où ils recevront l’empereur ; une compagnie d’infanterie turque vient de s’aligner et forme la haie sur une centaine de pas et d’un seul côté de la rue. Cela ne suspend pas encore les habitudes de la cité, le va-et-vient des indigènes sur leurs chevaux ou leurs mules. Les chiens dorment, le ventre étendu sur la route qu’on a arrosée et qu’ils trouvent fraîche. Un porteur d’eau promène sur son dos son outre, une peau de chèvre qui, gonflée, a repris une forme d’animal distendu, gras et luisant. Deux hommes qui poussent trois ânes s’arrêtent, se baissent, le porteur d’eau par un mouvement de reins penche vers eux une patte de sa chèvre, et de là un filet clair tombe dans leurs bouches noires.

Un appel de trompette retentit. Sa note unique et longue sonne de loin ; un appel plus proche le transmet ; un troisième répond à la porte de Jaffa. Aussitôt le chemin que va suivre l’empereur apparaît vide entre les rangs alignés des mâts et du peuple. Un groupe de cavaliers s’avance. Leur uniforme brun soutaché de jonquille inspire aux Ottomans le même respect qu’à nos compatriotes le chapeau en bataille et les buffleteries blanches des gendarmes, et les gendarmes sont ici comme en France l’escorte des criminels et des souverains. Ils mènent la marche d’un bon pas. Après eux une voiture où le consul d’Allemagne, raide dans sa grande tenue, semble célébrer l’élévation, déjà annoncée, de son poste en consulat général. Dans une seconde voiture, une femme blonde, ayant sur le visage une beauté qui se fanera vite et la bonté qui, plus heureuse, n’a rien à craindre des ans, salue avec grâce et désir d’être aimable : c’est l’impératrice. Derrière et aussitôt l’empereur. Vêtu d’un uniforme à bandes, collet et paremens rouges, qu’égaient des broderies d’argent, un grand cordon jaune sur la poitrine, le casque en tête, et solide sur son