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comme de vers luisans dans l’herbe. A la pointe du Sérail, appuyés aux murs des palais abandonnés par le sultan, quelques cordons et quelques arcs de lumière traçant des portiques. Rien dans Constantinople ne luit que cette mince et pâle épure de lampions. La capitale passive continue à laisser faire son maître, et il suffit à ce maître que la capitale présente aux hôtes d’Yldiz un fond de décor.

L’ombre victorieuse des efforts faits pour la dissiper, la force de la nature qui ternit et dissout ces atomes de lumière est la vraie maîtresse de cette heure. En l’honneur d’un chrétien le sultan illumine les arbres de ses jardins et les pierres de ses palais : l’âme musulmane ne s’éclaire pas. C’est elle qui, absente de ce jour et de cette soirée, les rend minuscules, et leur donne un air de fête perdue dans un désert. De leurs maisons obscures les croyans contemplent la pauvreté de cet hommage rendu à l’infidèle et obscurément en jouissent. Leur ville préférée, Scutari, sous le deuil de ses cyprès, n’a pas un seul feu de joie. Mais, tandis que pour l’empereur s’allume cette lueur sans rayonnement, pour eux le croissant mince de la lune nouvelle, et une brillante étoile qui scintille devant lui, élèvent au-dessus de Sainte-Sophie et font monter dans la gloire du ciel les emblèmes de l’Islam.


En mer, 20 octobre.

Quand un souverain est digne de son nom, un surnom consacre le mérite particulier qui fait l’originalité de sa gloire. Ces surnoms abondent dans l’histoire, et l’on a peine à comprendre les guerres, les famines et les malheurs continus des peuples sur lesquels régnaient tant de pacifiques, de pieux, de justes et de grands. L’empereur d’Allemagne obtiendra sans doute quelqu’un de ces titres et peut-être les méritera tous : mais à l’heure présente je lui vote celui de Guillaume le Déconcertant.

Tout le monde sait que ce monarque n’a pas la modestie farouche, qu’il aime à occuper les yeux, les imaginations, et qu’il ne croit pas à la grandeur sans bruit. Jamais il n’avait annoncé aucune de ces entreprises aussi à l’avance, et avec autant de fracas. Appeler l’attention sur elle c’était appeler autour de lui les curieux, et surtout ces curieux de profession qu’on appelle journalistes. Il est entré dans les mœurs de faciliter à ceux-ci leur tâche quand on veut informer le public. Or, loin que des facilités aient