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parlant comme il pense, Molière pense souvent mal. C’est sa pensée qu’en ce cas nous n’aimons point ; mais étant ce qu’elle est, il faut bien convenir qu’on ne saurait l’exprimer plus clairement que lui, ni surtout d’une manière qui s’enfonce ou se grave plus profondément dans la mémoire. Il y avait, après cela, dans le style de Molière, nous l’avons vu, quelque chose de populaire ou de bourgeois, qui ne pouvait manquer de déplaire à l’esprit très distingué, hautain, et souverainement aristocratique de Fénelon. C’est encore une des raisons de sa sévérité. Il le trouvait, — et c’était aussi l’opinion de Boileau, —

… trop ami du peuple en ses doctes peintures ;

non sans motif d’ailleurs, au sens où l’un et l’autre entendaient ce mot de « peuple ; » et puisque, sans doute, il y aura toujours de tels esprits, et que même il sera bon qu’il y en ait, — parce qu’il faut aimer « le peuple » mais non pas toujours le suivre, ni le croire toujours infaillible, — il y aura donc toujours aussi d’excellens juges pour adresser au style de Molière les critiques de Fénelon.

Et enfin il y en aura pour renouveler contre lui les critiques de La Bruyère, s’il y aura toujours parmi nous des stylistes, on veut dire de curieux artisans de mots, qui ne se contenteront pas de traiter le langage comme une œuvre d’art, mais qui attacheront moins de prix au fond des choses qu’à la manière de les dire. Évidemment, si Molière nous donne une leçon, ce n’est pas celle-là ! Nulle préoccupation ne lui a été plus étrangère, ou plutôt, quand il a paru quelquefois s’en laisser toucher, comme dans son Garcie de Navarre, c’est justement alors qu’il a peut-être le moins bien écrit. Je ne pense pas qu’il y en ait non plus de moins familière à Pascal ou à Bossuet. Quand on croit avoir quelque chose d’essentiel à dire, on ne demande aux mots que de nous aider à le dire ; on ne joue pas d’eux comme d’un instrument ; on ne les fait pas uniquement ou principalement servir à la manifestation de sa propre virtuosité. Pour tous ceux qui conçoivent le style de cette manière, — et ils sont nombreux, depuis Ronsard, en passant par Voiture et par nos romantiques, jusqu’à nos Parnassiens, — le style de Molière en sa rudesse, on serait tenté de dire avec un de ses personnages, en sa beauté rudanière, semblera toujours manquer d’un dernier degré d’achèvement ou d’art. Ils n’y trouveront aucune de ces