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et rien ne la rend plus mauvaise, n’en fait mieux ressortir l’artifice ou la fausseté, que de vouloir la suivre trop loin. Elle ne sert plus alors d’éclaircissement ou d’illustration à la pensée, mais elle l’obscurcit. Et ce n’est plus seulement le style qui en est gâté, mais la nature elle-même des choses qui s’en trouve faussée. C’est encore ce que Molière, étant Molière, n’a pas pu ne pas voir. « Comparaison n’est pas raison, » dit un commun proverbe, et précisément c’est cela qu’il veut dire. Une comparaison ou une métaphore ne nous rendent compte de rien. Elles ornent le discours, mais elles n’en sauraient faire le fond. Nous les indiquerons donc, et nous ne les développerons pas. Mais surtout nous ne les suivrons point ! Si l’imitation de la nature est l’objet ou l’un des objets de l’art, nous comprendrons que l’application que nous mettrons à suivre nos métaphores, nous détournerait de notre but. Et nous comprendrons enfin que, dans la mesure où les langues s’enrichissent par ce que l’on pourrait appeler la fructification naturelle des métaphores, c’est justement à une condition, qui est, qu’à un moment donné, elles cessent d’être des métaphores.

C’est ce que Molière a encore très bien vu. Prenons ces deux vers, souvent cités, du Misanthrope :

Le poids de sa grimace où brille l’artifice
Renverse le bon droit et tourne la justice.

Je consens qu’ils soient assez mal écrits. Mais pourquoi sont-ils mal écrits ? Précisément parce que ces expressions métaphoriques de « Poids, » de « Briller, » de « Renverser » sont encore métaphoriques ; ou, si l’on le veut, n’ont pas encore été, ne sont pas même aujourd’hui suffisamment dépouillées de leur sens premier, propre et concret. Le « poids » d’une grimace, aujourd’hui même, n’est pas tout à fait synonyme de « l’effet que produit une grimace, » ni « renverser » le bon droit, de le « violer » ou d’en « triompher. » Mais le principe est juste ; et, sous prétexte que dans pecunia on retrouve toujours pecus, il serait pédantesque de n’en vouloir user que dans les phrases où l’on pourrait faire entrer… un bœuf. C’est une erreur où tombent souvent les étymologistes, avec leur manière de voir sous tous les mots les mots dont ils dérivent. Il n’y aurait plus moyen d’écrire ni de parler si nous continuions de parler grec ou latin en français. Les comparaisons n’enrichissent vraiment les langues qu’à la condition